Togo-Russie : Moscou resserre les liens avec Lomé, sécurité et business au menu des discussions
Les points clés :
Faure Gnassingbé rencontre Vladimir Poutine au Kremlin le 19 novembre 2025 pour renforcer une coopération stratégique entre le Togo et la Russie.
Les axes de partenariat comprennent le commerce, l’agriculture, l’énergie, la formation, la sécurité alimentaire, ainsi qu’un nouvel accord militaire.
Cette visite s’inscrit dans le cadre plus large de l’expansion de l’influence russe en Afrique, particulièrement en matière de sécurité et d’investissement économique.
Ce 19 novembre 2025, au Kremlin, Faure Essozimna Gnassingbé, président du Conseil de la République togolaise, s’assoit face à Vladimir Poutine pour un entretien d’envergure : derrière les strapontins dorés du pouvoir, les enjeux sont profonds. Plus qu’une simple visite protocolaire, cette rencontre marque un tournant, tant pour le Togo que pour la Russie, dans leur approche de la coopération bilatérale.
Une diplomatie revisitée à l’heure des réalignements géopolitiques
La visite de Gnassingbé à Moscou, à l’invitation de Poutine, ne peut être dissociée du contexte géopolitique actuel. Pour le Togo, ce rapprochement témoigne d’une volonté clairement affichée de diversification des partenariats internationaux, et d’un repositionnement stratégique au sein d’un ordre mondial en mutation. Selon un communiqué officiel, les discussions porteront sur des domaines essentiels : économie, commerce, agriculture, énergie, formation et sécurité alimentaire.
Derrière cette diversification se lit une ambition politique : sortir d’une dépendance exclusive aux partenaires traditionnels, tout en renforçant sa stature diplomatique dans une Afrique en proie à des radicalités sécuritaires croissantes. La Russie, de son côté, voit dans le Togo un point d’ancrage précieux pour consolider sa présence dans la sous-région.
D’ailleurs, cette visite s’inscrit dans un cadre plus large : depuis plusieurs mois, Lomé conduit des « consultations multilatérales » avec divers partenaires, explicitement motivées par « les priorités africaines de paix, sécurité et développement ». Les thèmes invités à la table du Kremlin, tels que les Objectifs de développement durable (ODD), la lutte contre le changement climatique et la sécurité régionale, illustrent l’ambition togolaise d’être un acteur influent sur la scène internationale.
Commerce, agriculture et énergie : les leviers d’une croissance partagée
Le dialogue économique est au cœur de cette visite. La Russie n’est pas étrangère au Togo, notamment via l’exportation de produits agricoles et son rôle dans la sécurité alimentaire. Moscou pourrait renforcer son rôle de fournisseur de céréales et d’intrants agricoles pour Lomé, dans un contexte où l’Afrique de l’Ouest reste vulnérable aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux.
Selon des analyses actualisées, le commerce bilatéral reste modeste mais prometteur. Le site Russia’s Pivot to Asia indique que le volume des échanges est actuellement d’environ 10 millions de dollars, principalement composé d’exportations russes de fertilisants et d'importations togolaises de fruits et de noix. Ce faible niveau d’échange masque cependant un potentiel de croissance large, d’autant que la Russie envisage d’ouvrir une ambassade à Lomé d'ici 2026, signe de l’intérêt stratégique qu’elle accorde à ce partenariat.
Le volet agricole est particulièrement structurant. Le Togo, à l’instar de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, mise sur l’autosuffisance alimentaire et sur l’industrialisation de son secteur agricole. Grâce à une coopération renforcée avec Moscou, Lomé pourrait bénéficier d’un transfert technologique, d’un accès facilité aux intrants, et d’un soutien technique dans l’irrigation, la mécanisation et la formation des agriculteurs. En retour, la Russie gagne un partenaire stable pour l’exportation de ses excédents agricoles et pour le déploiement de ses entreprises spécialisées dans l’agriculture.
Par ailleurs, l’énergie figure aussi parmi les dossiers examinés, conformément aux ambitions déclarées lors des échanges diplomatiques. Depuis plusieurs années, le Togo explore les énergies renouvelables. Le ministre des affaires étrangères togolais a souligné l’intérêt de Lomé pour des projets solaires en coopération avec Moscou. Ce partenariat pourrait s’inscrire dans l’optique de renforcer la résilience énergétique du Togo via le solaire, mais aussi d’intégrer des compétences russes en matière d’infrastructure énergétique.
Sécurité humaine et militaire : vers une alliance stratégique
La dimension sécuritaire est sans doute le pilier le plus marquant de ce rapprochement. En octobre 2025, la Douma russe a ratifié un accord de coopération militaire avec le Togo. Ce cadre légal consacre des exercices conjoints, des programmes de formation, des échanges de renseignements, mais aussi une assistance médicale d’urgence, selon les termes officiels.
Ce partenariat militaire s’inscrit dans un contexte particulier : Lomé subit des menaces sécuritaires croissantes, notamment liées à la montée de l’insécurité dans le Golfe de Guinée et les effets de la crise au Sahel. En optant pour la Russie, le Togo diversifie ses appuis sécuritaires, s’éloignant progressivement d’une dépendance exclusive aux puissances traditionnelles.
Cette coopération militaire est aussi symbolique. Elle marque l’entrée formelle de la Russie dans le dispositif de sécurité togolais, au moment où Moscou étend son influence militaire en Afrique. Depuis plusieurs années, la Russie multiplie les partenariats dans des États fragiles, en proposant non seulement des capacités militaires, mais aussi une offre dite « souveraine » hors des conditionnalités classiques de l’aide occidentale.
Formation et capital humain : investir pour demain
Au-delà des aspects stratégiques et sécuritaires, le volet formation figure parmi les pierres angulaires de cet partenariat. Le Togo bénéficie déjà d’un programme de bourses d’État russes : selon la presse togolaise, 86 bourses ont été attribuées pour l’année académique 2024-2025, contre une dizaine seulement deux ans plus tôt. Cette augmentation spectaculaire témoigne de la montée en puissance du capital humain comme fondement du partenariat.
Ces bourses, combinées aux initiatives de formation militaire, permettent à la Russie d’investir dans une génération togolaise formée à ses standards, un levier de soft power potentiellement très puissant. Pour le Togo, c’est un moyen d’accélérer la montée en compétences de sa jeunesse et de renforcer la technicité de son administration, de ses secteurs agricoles, énergétiques et sécuritaires.
Contexte régional : la Russie joue gros en Afrique de l’Ouest
La visite de Gnassingbé à Moscou ne peut se comprendre isolément. Elle s’inscrit dans une stratégie russe plus large sur le continent. À plusieurs reprises, la Russie a annoncé son ambition de renforcer ses liens économiques et sécuritaires avec des pays africains, y compris dans des domaines « sensibles » tels que la défense. À travers le Golfe de Guinée, le Sahel, ou encore l’Afrique centrale, Moscou cherche à multiplier les partenariats bilatéraux, tout en renforçant sa posture face aux puissances occidentales.
C’est dans cette dynamique que s’inscrit le Togo, un État stable, bien placé géographiquement, disposant d’infrastructures portuaires (notamment le port de Lomé) et jouant un rôle croissant dans les mécanismes de gouvernance régionale.
De plus, le choix du Togo pour un partenariat militaire est stratégique : il symbolise un virage dans les alliances sécuritaires, dans un contexte où la Russie repense son modèle d’influence en Afrique, non plus seulement par des groupes paramilitaires (comme Wagner hier), mais via des alliances formelles avec des États.
Risques et défis : un équilibre fragile
Pour le Togo, ce rapprochement comporte aussi des risques. Diversifier ses partenaires signifie s’engager dans des compromis diplomatiques et géopolitiques. Le renforcement de la coopération militaire avec Moscou pourrait susciter des réactions de certaines puissances régionales ou internationales, soucieuses de l’influence russe en Afrique. De plus, l’offre russe doit être évaluée à l’aune du long terme : les transferts technologiques, l’assistance, et la formation doivent concrètement bénéficier au développement togolais, sinon le rapport de force pourrait pencher en faveur de Moscou.
Il y a aussi des défis d’absorption : le Togo doit garantir que ses institutions (éducatives, militaires, agricoles) sont capables d’intégrer les compétences et les ressources que la Russie pourrait lui apporter. Enfin, dans un continent où les partenariats peuvent être volatils, la durabilité du projet dépendra de la constance politique, de la bonne gouvernance et de l’appropriation nationale des initiatives.
Pourquoi est-ce important ?
L’entretien entre Faure Gnassingbé et Vladimir Poutine au Kremlin transcende le simple protocole diplomatique ; il symbolise un changement d’ère dans les relations internationales du Togo et, plus largement, en Afrique de l’Ouest. D’un point de vue économique, ce partenariat pourrait ouvrir un nouveau chapitre de croissance : l’accès à des technologies russes, à des bourses de formation, et à des marchés agricoles renforcera la capacité du Togo à se projeter vers l’avenir. En sécuritaire, l’accord militaire formalise une alliance stratégique, apportant à Lomé une diversification cruciale de ses partenariats et une réponse adaptée aux menaces régionales.
Pour l’Afrique de l’Ouest, la montée en puissance de la Russie comme partenaire peut redessiner les équilibres géopolitiques. Les États de la sous-région sont de plus en plus confrontés à des défis multidimensionnels, insécurité, changement climatique, nécessité de développement durable, et cherchent des alliances qui offrent des solutions concrètes, pratiques, et moins conditionnelles. Le Togo, en s’ouvrant à Moscou, joue un rôle de pionnier potentiel dans cette redéfinition des alliances africaines.
Enfin, sur le plan symbolique, cet engagement renforce l’idée que l’Afrique n’est plus un simple terrain de rivalité entre grands pouvoirs, mais un acteur à part entière capable de nouer ses propres alliances stratégiques, en fonction de ses intérêts de long terme. La visite de Gnassingbé à Moscou pourrait donc être perçue comme un jalon dans la construction d’une diplomatie togolaise plus affirmée, plus diversifiée, et tournée vers un développement résilient.