Comment l’arachide sénégalaise est passée de l’oubli à l’eldorado chinois

Les chiffres parlent d’eux-mêmes (Créateur : John Lander)


Les points clés :

  • La filière arachide au Sénégal a été libéralisée en 2010, ouvrant la voie à un boom spectaculaire des exportations vers la Chine.

  • Les exportations d’arachides non grillées ont culminé en 2021 à 336 909 tonnes, dont 97 % destinées à la Chine, générant près de 154,7 milliards FCFA (~274 millions USD).

  • La reconfiguration de cette filière pose déjà question en termes de souveraineté alimentaire, de dépendance à un seul marché et de transformations internes pour valoriser la production locale.


Depuis l’aube de la libéralisation du commerce de l’arachide sénégalaise en 2010, ce produit emblématique de l’agriculture sénégalaise a opéré une transformation exceptionnelle. Jadis cantonnée à des volumes modestes et un marché intérieur dominant, la filière s’est muée en un acteur d’exportation de premier plan, tirée notamment par une demande chinoise grandissante. Le décret de 2010 qui a levé les agréments d’exportation a marqué un point de bascule : désormais, les exportateurs pouvaient opérer sans les lourdeurs d’un système de contrôle étatique auparavant très pesant.

La signature, en 2014, d’un protocole d’accord entre le Sénégal et la Chine relatif aux exigences phytosanitaires a ensuite permis d’accélérer la montée en volume. Comme le rapporte l’Agence Ecofin, les ventes sénégalaises d’arachides non grillées ont alors explosé : après moins de 30 000 tonnes par an en 2014, elles atteignaient 336 909 tonnes en 2021. Cela s’accompagne d’une forte concentration géographique (bassin arachidi­er dans le centre et nord du Sénégal) et d’un intérêt accru des investisseurs internationaux. Selon le think-tank Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), le Sénégal était en 2021 le deuxième exportateur africain d’arachide avec une valeur d’exportation de 285 millions USD, soit près de 6,85 % des exportations mondiales.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les recettes de l’arachide non grillée ont atteint 111,5 milliards FCFA (≈ 170 millions USD) pour 327 000 tonnes en 2019. Ces volumes et recettes illustrent la mutation de la filière vers un maillon d’exportation important. Mais ce succès cache des fragilités.

En effet, d’une part la demande chinoise s’avère désormais largement hégémonique : la Chine absorberait plus de 90 % des exportations sénégalaises d’arachide à coque. Cette dépendance à un seul marché externalise une part de la souveraineté de la filière. D’autre part, le contexte de production reste vulnérable : les aléas climatiques, la gestion des stocks, la qualité des graines, et les besoins d’infrastructures adaptées sont des freins persistants. Le rapport de SWP rappelle que cette focalisation sur l’export peut entraîner un déséquilibre pour le marché intérieur et la valorisation locale de la matière première.

À titre d’illustration, l’année 2019 a vu un gain de volumes mais la campagne suivante connaît une suspension temporaire des exportations, comme l’a décidé le gouvernement sénégalais au 15 novembre 2024 afin de sécuriser l’approvisionnement local. Ce type de mesure met en lumière les arbitrages entre marché domestique et marché international, et pose la question de l’équilibre entre développement agricole et logique d’exportation.

Par ailleurs, la transformation locale de l’arachide (huile, dérivés, sous-produits) reste embryonnaire. Une forte partie du produit est exportée brute, ce qui limite les retombées de la chaîne de valeur pour les producteurs sénégalais et pour la transformation industrielle dans le pays. Le défi pour l’avenir est de passer de la simple production-exportation à la valorisation locale, avec métiers, emplois et rangs de transformation plus élevés.

Les implications sont multiples. Pour les agriculteurs et coopératives au Sénégal, la perspective d’accéder à un marché lucratif chinois représente un levier fort de revenus. Cependant, cette opportunité nécessite des moyens, des certifications, des infrastructures logistiques et une rigueur de qualité accrue. Pour les politiques publiques, il s’agit de veiller à ce que cette orientation ne fragilise pas les producteurs locaux, ne crée pas de dépendance excessive à un seul client, et s’accompagne d’une stratégie de transformation et d’industrialisation.

En outre, la filière arachide sénégalaise est tout autant un modèle pour d’autres pays ouest-africains : lorsqu’on se rappelle que l’arachide y est la première culture cultivée et la principale en zones rurales, cela en fait un baromètre de la transition agricole, de l’intégration aux chaînes mondiales et du défi d’ajouter de la valeur locale.

Pourquoi est-ce important ?

L’évolution de la filière arachide au Sénégal a des effets structurants pour l’économie ouest-africaine. Elle illustre comment un produit traditionnel peut passer à l’échelle internationale grâce à des politiques de libéralisation, à une ouverture vers de nouveaux marchés et à l’adaptation aux normes. Pour les pays de la sous-région, cela offre un modèle d’exportation agricole à haute valeur ajoutée, capable de mobiliser des devises et de stimuler les revenus ruraux.

Mais cette trajectoire met aussi en évidence les enjeux d’une croissance inclusive et durable. La dépendance à un marché unique (la Chine) expose non seulement la filière aux chocs externes, mais elle nuit à l’équilibrage entre priorité alimentaire nationale et logique exportatrice. Dans un contexte où la sécurité alimentaire reste un défi pour de nombreuses populations rurales, la question de la transformation locale devient cruciale : produire au-delà de l’exportation brute, transformer localement et recréer des emplois autour de la chaîne de valeur.

Pour les États ouest-africains, l’arachide représente plus qu’un simple produit d’exportation : c’est un levier de développement régional, d’infrastructures, d’agro-industrialisation et d’intégration aux marchés globaux. Assurer que cette filière soit résiliente, diversifiée et transformée localement est un enjeu majeur de compétitivité agricole, de création de valeur et de souveraineté économique. En suivant l’exemple sénégalais mais aussi en évitant les écueils, ces pays pourront mieux tirer parti de leurs potentiels agricoles tout en consolidant leurs positions sur les chaînes de valeur mondiales.

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