L’Afrique cesse d’attendre les bailleurs : bientôt 1 000 milliards USD sous gestion
Les points clés :
En 2025, les institutions publiques africaines (fonds souverains, banques centrales, fonds de pension) approchent un total historique de 1 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion (AuM).
Cette dynamique s’accompagne de la création de cinq nouveaux fonds souverains cette année, ce qui portera à plus de 30 le nombre de SWF africains, révélant un tournant structurel dans le financement du développement.
Pourtant, avec des besoins d’investissement annuels estimés entre 100 et 400 milliards USD pour combler le déficit d’infrastructures, les capitaux actuels, bien que substantiels, apparaissent largement insuffisants sans réformes profondes.
À la faveur d’un contexte international difficile, repli de l’aide publique au développement, taux d’intérêt élevés, volatilité des flux de capitaux, l’Afrique tourne résolument ses regards vers l’intérieur. Selon un rapport publié fin 2025 par GlobalSWF, l’ensemble des actifs gérés par les institutions publiques du continent, incluant fonds souverains, fonds de pension, banques centrales, frôle désormais la barre symbolique des 1 000 milliards de dollars.
Cette montée reflète non seulement l’accumulation d’actifs, mais aussi la multiplication des véhicules publics d’investissement. L’année 2025 a vu la création de cinq nouveaux fonds souverains, au Botswana, en République démocratique du Congo (RDC), au Eswatini, au Kenya, et dans l’État d’Oyo (Nigeria). Ce qui porte le nombre total de SWF africains à environ 33, selon les données de GlobalSWF.
Aux côtés des SWF, les fonds de pension, les réserves de change, les banques développementales, les compagnies d’assurance et le secteur bancaire contribuent à un capital public et privé estimé globalement à 4 000 milliards de dollars mobilisables, une manne parfois méconnue, que des institutions comme Africa Finance Corporation (AFC) estiment fondamentale pour financer les infrastructures du continent.
Capitaux sous gestion : qui détient quoi ?
Même si les SWF africains restent modestes comparés aux géants mondiaux, certains se distinguent déjà par leur taille et leur ambition. Le classement 2025 des principaux fonds souverains africains place Ethiopian Investment Holdings (Ethiopie) en tête avec environ 46 milliards USD d’actifs, suivi par des fonds d’Algérie, de Zambie, du Botswana, du Maroc, du Nigéria, entre autres.
La situation reste toutefois contrastée : la majorité des SWF africains gèrent des montants bien en deçà des besoins réels de développement et d’infrastructure, souvent dans des contextes économiques fragiles.
L’ensemble des fonds publics (SWF, banques, assurance, retraites…) constitue pourtant une réserve de capitaux de long terme que beaucoup estiment “patient”, un atout précieux pour des projets lourds et durables, comme les infrastructures, l’énergie, les transports ou l’industrialisation.
Un repositionnement stratégique face aux contraintes externes
La montée de ces capitaux s’explique dans un contexte où l’aide extérieure mais aussi les investissements directs étrangers (IDE) connaissent des soubresauts. En 2024, les IDE en Afrique avaient connu un rebond important, mais le premier semestre 2025 a vu un reflux, dû aux incertitudes macroéconomiques, à la remontée des taux d’intérêt et aux tensions géopolitiques.
Face à ces fragilités, les États africains semblent prendre conscience que la dépendance aux flux extérieurs est un risque. Les SWF et autres institutions publiques deviennent des leviers de financement interne, moins exposés à la volatilité, plus contrôlables, et potentiellement mobilisables pour des projets de long terme.
De plus, certains experts et institutions, en particulier l’AFC, estiment qu’il existe un potentiel massif de redéploiement : ces capitaux pourraient aujourd’hui financer les infrastructures vitales (routes, énergie, transport, santé, éducation) nécessaires à l’industrialisation, la croissance et la réduction de la dépendance extérieure.
Des ambitions concrètes : infrastructure, industrie, souveraineté économique
Le rôle traditionnel des SWF, stabiliser les finances publiques, gérer les excédents issus des matières premières, est aujourd’hui redéfini. Ces fonds sont désormais envisagés comme des instruments de développement actif, pouvant financer des infrastructures, des projets industriels, des énergies renouvelables, des zones d’activités, ou des services publics structurants.
Plusieurs pays africains ont commencé à réorienter leurs SWF (ou leurs projets de SWF) vers des investissements domestiques : modernisation d’infrastructures, diversification économique, développement industriel, soutien aux PME, investissements dans les secteurs stratégiques (énergie, transport, agriculture).
Cette tendance participe d’un objectif plus global : restaurer la souveraineté économique, réduire la dépendance aux financements extérieurs, renforcer les capacités internes de financement, et structurer des économies sur le long terme.
Les limites d’un potentiel encore largement sous-exploité
Malgré l’ampleur des capitaux disponibles, plusieurs obstacles freinent leur mobilisation effective. Le principal défi concerne les cadres institutionnels et la gouvernance : de nombreux SWF africains restent récents, avec des mandats mal définis, des structures de gouvernance fragiles, et des capacités limitées à identifier des projets bankables.
Ensuite, l’environnement financier et réglementaire est souvent inadapté : marchés de capitaux peu développés, manque d’instruments d’investissement longue durée, régulations restrictives, fragilité des partenariats public-privé. Ces facteurs découragent les investissements de long terme, pourtant nécessaires pour des projets d’infrastructure ou d’industrialisation.
Enfin, les besoins du continent restent immenses : selon des estimations récurrentes, l’écart de financement des infrastructures en Afrique serait compris entre 100 et 400 milliards USD par an, un ordre de grandeur bien supérieur aux capitaux mobilisés aujourd’hui.
Pourquoi est-ce important ?
L’essor des fonds souverains africains et des capitaux publics domestiques constitue un tournant historique pour l’Afrique, une chance de sortir du modèle de dépendance aux aides extérieures, à l’emprunt international ou aux IDE volatils.
D’abord, parce que cela permet de relocaliser le financement du développement : les pays peuvent investir eux-mêmes dans leurs infrastructures, leur industrie, leurs services publics, sans attendre l’approbation ou la bonne volonté d’acteurs extérieurs.
Ensuite, parce que cela offre une stabilité macroéconomique et financière : les capitaux publics sont moins sensibles aux chocs externes, ce qui peut offrir une résilience face aux crises globales, aux fluctuations des marchés ou aux retraits d’aide.
Troisièmement, parce que c’est un levier d’industrialisation, d’infrastructures, de transformation économique à long terme, indispensable pour répondre aux besoins de transport, d’énergie, de logement, d’éducation, mais aussi pour créer des emplois, stimuler les PME, et diversifier les économies.
Enfin, parce que cela change la posture de l’Afrique dans le système financier global : de simple réceptrice de capitaux, elle peut devenir actrice, investisseuse, stratège, ce qui redéfinit les rapports de force, l’attractivité, la souveraineté.
L’Afrique semble donc en train de tourner la page d’une économie bâtie sur l’aide ou la rente, pour en écrire une nouvelle, fondée sur le capital domestique, la planification, et la vision d’un développement endogène.