Yas Togo & Nokia : le pari d’un “Togo connecté”, ambitions, défis et enjeux pour l’Afrique de l’Ouest
Les points clés :
Yas Togo a signé un accord de 7 ans avec Nokia pour moderniser totalement ses réseaux fixe et mobile, avec un investissement de l’ordre de 60 milliards de FCFA.
Le projet prévoit le déploiement de plus de 500 nouveaux sites radio compatibles 5G (et un pilote “6G”), une expansion d’environ 45 % du nombre de sites, visant à porter la connectivité togolaise à un niveau “classe mondiale”.
Au-delà de l’infrastructure, ce partenariat pourrait activer un levier de développement : services numériques, inclusion digitale, transformation des entreprises, et renforcement de la souveraineté technologique en Afrique de l’Ouest.
Au début décembre 2025, Yas Togo, anciennement opérateur Togocom, a officialisé un partenariat stratégique avec Nokia, leader mondial des infrastructures de connectivité. L’engagement, d’une durée de sept ans, porte sur la refonte complète des systèmes réseau mobile et fixe de Yas Togo. L’objectif affiché : donner au Togo “une connectivité de classe mondiale” tout en préparant l’avenir numérique du pays.
L’ampleur du projet est significative : environ 60 milliards de francs CFA y sont consacrés. Il prévoit le déploiement de plus de 500 sites radio supplémentaires, majoritairement compatibles 5G, ce qui représenterait une augmentation d’environ 45 % du nombre total de sites existants selon les dirigeants de Yas Togo.
Mais l’ambition va plus loin : un projet pilote expérimental 6G figure dans le plan, ce qui, si réussi, pourrait faire du Togo l’un des pays pionniers en Afrique en matière de technologies de “réseau du futur”.
Le projet ne se limite pas à la “construction d’antennes”. L’architecture réseau sera modernisée en profondeur : cœur de réseau, transmission, plateformes “cloud-native”, virtualisation, solutions à haute disponibilité… Le tout pour garantir “qualité, résilience, capacité renforcée”, des critères essentiels dans un contexte de demande croissante en données, en services numériques et en usages mobiles.
L’accord s’inscrit dans la stratégie plus large du groupe panafricain AXIAN Telecom, propriétaire de Yas Togo, engagée dans le développement des infrastructures numériques en Afrique. Le rebranding de Togocom en “Yas Togo” en novembre 2024 visait déjà à harmoniser les opérations et à impulser une nouvelle dynamique.
Pourquoi Nokia ? Un géant des télécoms présent sur l’ensemble du continent
Le choix de Nokia comme partenaire n’est pas anodin. Depuis des décennies, le constructeur finlandais fournit des équipements réseaux, des solutions 4G/5G, et plus récemment des architectures “cloud-native” aux opérateurs africains. Dans des pays comme l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, le Kenya, le Maroc ou d’autres marchés d’Afrique de l’Est et Australe, Nokia figure parmi les fournisseurs de référence pour la modernisation des réseaux.
Tout récemment encore, Nokia a étendu ses partenariats avec de grands opérateurs comme Vodacom / Vodafone pour déployer des réseaux “5G standalone” en Afrique et en Europe, utilisant son portfolio AirScale (antennes Massive MIMO, RRH, baseband, etc.), démontrant sa capacité à fournir des solutions de pointe, adaptées aux besoins actuels, haut débit, faible latence, densification, résilience.
Plus largement, Nokia affiche dans sa communication institutionnelle son engagement historique en Afrique, réseaux fixes, mobiles, fibre, télégraphe, 5G, depuis le XIXᵉ siècle.
Ainsi, l’alliance Yas Togo / Nokia place le Togo dans un référentiel global de connectivité moderne, capable de répondre aux enjeux du numérique, de l’économie digitale, de l’industrialisation et des services pour les citoyens.
Contexte local : défis et juste mesure
Avant l’accord, le secteur des télécoms au Togo connaît une concurrence assez vive. Sur le segment de l’internet fixe via fibre (FTTH), par exemple, l’autorité de régulation locale (ARCEP Togo) situait en 2025 la part de marché de Yas Togo à environ 39 % contre 61 % pour son principal rival, Canalbox (groupe GVA).
En ce qui concerne l’Internet mobile, toujours selon ARCEP, en 2024 Yas Togo détient 61 % de parts de marché, devant un autre opérateur important, Moov Africa Togo.
Ces données illustrent une réalité contrastée : Yas Togo dispose d’un socle important, mais le marché reste concurrentiel, les attentes des usagers en termes de qualité, de débit, de résilience sont fortes — le nouveau partenariat cherche donc à répondre à ces exigences ; mais le succès dépendra de la bonne mise en œuvre, des investissements, de la gestion opérationnelle, et de la capacité à délivrer des services à la hauteur de la promesse.
Par ailleurs, le contexte régional évolue rapidement. Nokia, au-delà des déploiements classiques, propose désormais des architectures “cloud-native 5G/6G”, des réseaux “standalone” ou hybrides, des solutions SaaS, des plateformes d’automatisation, de gestion intelligente des réseaux, pour s’adapter à la croissance rapide des usages data, à l’essor de l’IA, à l’Internet des objets, aux services numériques, etc.
Que peut apporter ce partenariat, bien au-delà des antennes
Le projet Yas Togo / Nokia peut devenir un levier de transformation numérique pour tout le pays, et un modèle pour la sous-région. En modernisant les infrastructures, le Togo peut donner accès à des services : haut débit mobile et fixe, e-commerce, e-santé, e-éducation, services financiers mobile, fintech, cloud, télétravail, etc.
Pour les entreprises, les start-ups, les PME, c’est une opportunité d’accélérer leur transformation digitale, d’accéder à des technologies de pointe, de bâtir des modèles innovants, un terrain fertile pour l’entrepreneuriat, l’emploi qualifié, les services à valeur ajoutée.
Pour l’État et les politiques publiques, un tel réseau peut faciliter la digitalisation des services publics (administration, santé, éducation, justice, fiscalité, etc.), améliorer la connectivité des zones rurales, réduire la fracture numérique, stimuler l’inclusion sociale, et favoriser le développement équitable.
En investissant dans des infrastructures modernes, le Togo accroît aussi son attractivité pour les investisseurs étrangers ou africains, désireux de s’appuyer sur un backbone numérique stable, performant, compatible 5G/6G.
Le projet pourrait également contribuer à la souveraineté numérique : réduire la dépendance à des technologies vieillissantes, éviter l’obsolescence, construire un écosystème local de services numériques, former des ingénieurs, développer des compétences, des emplois qualifiés, des industries numériques.
Risques et défis, ce qu’il faudra surveiller
Un tel projet, aussi ambitieux soit-il, comporte des risques. D’abord, la mise en œuvre technique et opérationnelle : déployer 500 sites radio, moderniser le cœur réseau, assurer la qualité, la maintenance, la résilience… cela demande des ressources humaines qualifiées, une gestion rigoureuse, des investissements constants, et une feuille de route claire.
Ensuite, le défi de la qualité d’expérience et de la concurrence. Si Yas Togo n’améliore pas sensiblement la qualité pour ses abonnés (débits, latence, couverture, continuité du service), le gain commercial pourrait être limité, d’autant plus qu’un concurrent fibre/domestique (Canalbox) détient déjà une part importante.
Il y a aussi la question de l’inclusion numérique : déployer des infrastructures ne suffit pas. Il faut que les populations, urbaines, périurbaines, rurales, aient les moyens, les équipements, les compétences pour accéder aux services. Sans cela, le risque est de creuser une fracture numérique interne.
Enfin, le modèle économique doit être viable : l’investissement (60 milliards de FCFA) est lourd. Le retour dépendra des abonnés, de l’adoption, de la qualité du service, des services associés. Si le contexte économique se fragilise, cela pourrait nuire à la rentabilité et à la pérennité.
Pourquoi est-ce important ?
Le partenariat Yas Togo / Nokia est bien plus qu’un plan d’amélioration réseau. C’est un signal fort pour le Togo, l’Afrique de l’Ouest, et pour l’avenir numérique du continent.
D’abord, il illustre la transformation des télécoms africains : des infrastructures héritées (2G/3G/4G), souvent fragiles et fragmentées, vers des réseaux modernes, robustes, performants, capables de supporter la demande croissante en data, en services numériques, en innovation.
Ensuite, c’est un pas vers la souveraineté numérique. En modernisant leurs infrastructures avec des partenaires reconnus, les opérateurs africains peuvent créer un écosystème durable, réduire la dépendance technologique, investir dans les compétences locales, et offrir à leurs populations un accès digne au numérique.
Pour l’économie togolaise, cela peut constituer un levier de développement : création d’emplois, montée en compétence, digitalisation des entreprises, attractivité pour les investisseurs, développement des services en ligne, meilleure inclusion financière, meilleure connectivité des zones rurales.
Pour l’Afrique de l’Ouest, c’est un modèle, si le projet réussit, il pourra inspirer des intitiatives similaires : modernisation des réseaux, partenariats public-privé ou privé-privé, investissements dans l’infrastructure, adoption rapide du 5G/6G, développement d’un marché numérique régional, interconnexion, intégration économique numérique.
Enfin, à l’heure où le monde entre dans l’ère de l’IA, de l’Internet des objets, des services cloud, des villes intelligentes, l’accès à une connectivité fiable et moderne n’est plus un luxe, c’est une condition de développement, de compétitivité, d’équité. Le Togo, à travers Yas Togo et Nokia, tente de saisir cette opportunité.