Souveraineté financière et inclusion en Afrique : l’ambition de Chari et Ismael Belkhayat pour transformer les paiements et l’accès aux services financiers


Les points clés :

  • L’entrepreneur marocain Ismael Belkhayat affirme que la souveraineté financière notamment le traitement local des paiements et des données est une condition sine qua non de l’inclusion financière en Afrique.

  • La fintech Chari, cofondée par Belkhayat, se transforme d’une plateforme d’e-commerce pour petits commerces en un super-app financier intégrant paiements, services bancaires et micro-assurance, soutenue par une licence de paiement délivrée par la Banque centrale marocaine.

  • La stratégie de Chari, approfondie lors de l’Africa Financial Summit (AFIS) 2025, illustre comment les infrastructures de paiement locales, en lien avec des acteurs internationaux comme Visa, peuvent catalyser l’accès aux services financiers pour les populations non bancarisées.


Dans un paysage africain où près de 60 % des adultes restent en dehors des circuits bancaires formels, et où la majorité des transactions reposent encore sur des systèmes informels ou du cash, la question de l’inclusion financière est devenue un enjeu économique majeur pour stimuler la croissance, réduire la pauvreté et renforcer l’autonomie des économies locales. C’est dans ce contexte que les propos de Ismael Belkhayat, cofondateur de la fintech marocaine Chari, prennent tout leur sens. La souveraineté financière définie comme la capacité d’un pays à maîtriser ses propres infrastructures de paiement et la localisation de ses données financières est, selon lui, la pierre angulaire d’une inclusion véritable et durable sur le continent.

Belkhayat a développé cette vision lors de l’Africa Financial Summit (AFIS) 2025, organisé à Casablanca par Jeune Afrique Media Group en partenariat avec la Société financière internationale (IFC), où il a expliqué que l’inclusion ne peut être dissociée de la souveraineté des systèmes de paiement, impliquant que les transactions et les données soient hébergées et traitées localement, sous la supervision des autorités nationales. Cette approche s’appuie sur le constat que la dépendance à des infrastructures étrangères ou à des relais de traitement internationaux fragilise l’autonomie économique des pays africains et limite la confiance des utilisateurs dans les services numériques.

La trajectoire de Chari illustre cette stratégie. Fondée en 2020 à Casablanca par Belkhayat et Sophia Alj, l’entreprise a commencé comme un outil digital facilitant l’approvisionnement de produits de grande consommation pour les commerces de proximité. Très vite, les fondateurs ont identifié une fracture financière profonde : de nombreux petits commerçants n’étaient pas intégrés à un système bancaire, et leurs transactions restaient principalement en cash, sans historique numérique ni accès à des services financiers de base.

Afin de répondre à cette problématique, Chari a levé 12 millions USD lors d’un tour de Série A en 2025, ce qui porte ses fonds levés à environ 17 millions USD l’un des plus importants tours pour une startup marocaine et lui a notamment permis d’obtenir une licence d’établissement de paiement auprès de Bank Al-Maghrib, la banque centrale du Maroc. Cette licence autorise Chari à fournir une gamme complète de services financiers : comptes de paiement, IBANs marocains, cartes de débit, transferts domestiques et internationaux, paiements de factures, et même distribution de micro-assurances.

L’obtention de cette licence est un tournant stratégique pour l’entreprise : elle lui permet d’intégrer pleinement les services financiers numériques au cœur de l’activité marchande, transformant ainsi les commerces traditionnels en points d’accès financier pour les populations exclues du système bancaire. Ce modèle va au-delà de l’inclusion des petits commerçants ; il constitue une infrastructure de souveraineté économique où les transactions restent dans le pays et répondent aux normes réglementaires locales, ce qui renforce la confiance et la résilience des marchés financiers domestiques.

Belkhayat explique que, même en collaborant avec des réseaux internationaux comme Visa, la priorité est de maintenir le traitement local des paiements pour garantir l’autonomie des économies africaines et assurer une protection des données financières sur le territoire. Ce positionnement stratégique s’est concrétisé par une partenariat étendu avec Visa, qui vise à élargir l’acceptation des paiements numériques et à intégrer les petits commerçants dans le système formel, tout en maintenant une gouvernance nationale forte sur les flux financiers.

Au-delà des services de paiement, Chari vise à transformer ses infrastructures en super-app pour commerçants, intégrant la gestion des commandes, les paiements, la facturation et potentiellement des services d’assurance et de micro-crédit, créant ainsi une plateforme financière complète au service des populations encore partiellement exclues du système bancaire traditionnel. Cette vision est conforme à un mouvement plus large dans plusieurs économies émergentes qui utilisent des plateformes tech intégrées pour étendre l’accès aux services financiers de manière inclusive et souveraine.

L’approche Sud-Sud prônée par Belkhayat se fonde sur l’idée que l’expérience africaine doit s’inspirer autant des réussites de l’Inde, de l’Asie du Sud-Est ou de l’Amérique latine que des modèles occidentaux, tout en conservant une culture de données et de régulation locale adaptée aux réalités africaines. Cela suggère que la digitalisation financière peut devenir un vecteur de croissance endogène fondée sur la mobilisation de données locales, l’adaptation des services aux besoins réels et l’implication active des régulateurs nationaux.

Pourquoi est-ce important ?

L’exemple de Chari et l’analyse d’Ismael Belkhayat mettent en lumière un enjeu central pour les économies africaines : l’inclusion financière ne peut être pleinement atteinte sans souveraineté sur les données et les infrastructures de paiement. À une époque où la mobilité des capitaux et des technologies est amplifiée par la digitalisation, le contrôle des rails financiers c’est-à-dire des systèmes qui traitent, stockent et sécurisent les transactions, devient un facteur stratégique de développement économique.

Pour l’Afrique, où une grande partie de la population reste exclue du système bancaire traditionnel, la transformation des micro-commerces en points d’accès financiers peut accroître la traçabilité des flux monétaires, réduire les coûts de transaction et renforcer la stabilité macroéconomique. Cela alimente non seulement la croissance interne, mais aussi la résilience face aux chocs externes, en limitant la dépendance aux systèmes financiers étrangers.

Par ailleurs, l’intégration des commerçants informels dans l’écosystème numérique permet une meilleure collecte de données économiques : celles-ci deviennent un atout pour l’évaluation du risque, la conception de produits financiers adaptés, et l’élargissement de l’accès au crédit et à l’assurance. Ce processus favorise une dynamique d’inclusion qui touche les citoyens, les petites entreprises et, à terme, les secteurs productifs plus larges.

L’expérience marocaine de Chari peut servir de modèle régional, illustrant comment des économies africaines peuvent développer des infrastructures financières locales robustes tout en dialoguant avec les grands réseaux internationaux. Cela rejoint un objectif stratégique plus large pour l’Afrique : construire des écosystèmes financiers souverains, inclusifs et compétitifs, capables de soutenir la transformation économique à l’échelle régionale et continentale.

En fin de compte, l’inclusion financière n’est pas seulement une question d’accès aux services bancaires : elle fait partie intégrante d’un projet économique plus vaste qui lie la souveraineté technologique, la croissance inclusive et la réduction des inégalités, ouvrant la voie à une nouvelle génération d’entreprises africaines qui ne se contentent pas de suivre les modèles importés, mais construisent des solutions profondément ancrées dans les réalités locales.

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