Le Ghana déclare la fin de l’agriculture de subsistance
Les points clés :
L’agro-industrie ghanéenne s’apprête à entrer dans une nouvelle ère de transformation, dépassant la simple production agricole pour devenir un pilier industriel intégrant valeur ajoutée, durabilité et commerce.
Le Ghana lutte contre des pertes post-récolte estimées à près de 1,9 milliard USD par an, un enjeu central de la nouvelle politique et des investissements publics et privés.
Cette stratégie s’inscrit dans une dynamique régionale qui pourrait redessiner les chaînes de valeur agricoles ouest-africaines, renforçant l’intégration intra-régionale et la compétitivité face aux marchés mondiaux.
Le Ghana se lance dans un pari audacieux et plus ou moins risqué visant la transformation de son économie agricole. Jusqu’ici largement centrée sur la production primaire et les exportations de matières premières, l’agriculture ghanéenne est en passe d’adopter une politique nationale agro-industrielle (PNAI) qui pourrait redéfinir l’architecture économique du pays et ouvrir de nouveaux horizons pour l’ensemble de la région.
Cette politique, encore en phase de finalisation avant adoption en Conseil des ministres, promet de redessiner le rôle de l’agriculture dans l’économie nationale. Traditionnellement concentré sur la production de cacao, d’huile de palme ou de racines et tubercules, le secteur agricole ghanéen employait encore une large part de la population et représentait environ 20 % du PIB national, tout en mobilisant près de 35 % de la main-d’œuvre.
Les autorités gouvernementales estiment que l’agriculture doit aller bien au-delà de la simple production pour se muer en un écosystème performant, intégrant transformation locale, marchés structurés et durabilité économique et sociale. Les pertes après récolte estimées à 1,9 milliard USD par an, sont devenues un révélateur des défis structurels à surmonter pour convertir le potentiel agricole en richesse industrielle.
Une politique née d’un diagnostic partagé
Le processus d’élaboration de la PNAI a impliqué une vaste consultation des acteurs publics, privés et académiques du Ghana. Des transformateurs agroalimentaires aux groupements agricoles, en passant par des experts en politiques publiques, cette démarche inclusive vise à créer un cadre réglementaire robuste qui reflète les besoins réels du terrain.
L’élément central de cette politique est de repositionner le secteur agricole comme un moteur de croissance inclusive, d’attraction des investissements et de valorisation des chaînes de valeur locales. Cette approche marque une rupture avec les politiques antérieures souvent focalisées sur l’augmentation des rendements sans suffisamment s’attacher à la transformation et à la commercialisation des produits.
Les stratèges ghanéens misent sur l’agro-industrie non seulement pour répondre à la demande intérieure, mais aussi pour exploiter pleinement l’accès offert par la Zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA), qui ouvre des perspectives de marché pour les produits transformés. Selon des analystes économiques, l’agroalimentaire et les segments à forte valeur ajoutée (comme la transformation du cacao en produits finis) pourraient générer des retours sur investissement à deux chiffres, notamment grâce à la proximité de ports ghanéens vers les marchés européens.
Investissements publics et défis persistants
Le gouvernement a déjà engagé des mesures concrètes pour préparer le terrain à cette transformation industrielle. Dans le budget 2026, l’allocation au secteur agricole et agro-industriel a été portée de 0,5 % à 5 % du budget national, soit environ 13 milliards de Cedis ghanéens, une augmentation qualifiée de « pas audacieux mais nécessaire » par des acteurs du secteur.
Ce nouveau financement vise à soutenir la modernisation des infrastructures agricoles, la création de centres de transformation régionaux et la structuration de chaînes de valeur plus efficaces. Il s’ajoute à des initiatives internationales comme une subvention de 9,5 millions USD accordée récemment par l’Agence coréenne de coopération internationale (KOICA) pour renforcer les chaînes de valeur agro-industrielles au Ghana.
Cependant, le défi reste immense. Les pertes post-récolte, qu’elles soient liées à l’absence de stockage adéquat ou à un manque de transformation locale, continuent de freiner l’impact des politiques actuelles. Diverses études indiquent que des mesures d’amélioration des infrastructures logistiques et de réduction des inefficacités des marchés sont essentielles pour que les gains budgétaires se traduisent en croissance durable.
Une autre contrainte majeure reste la disponibilité et l’utilisation de technologies modernes, y compris celles basées sur l’intelligence artificielle, pour optimiser la production et la distribution. En effet, le Ghana a récemment accueilli un projet de 100 millions de dollars visant à intégrer l’IA dans la production agricole afin d’améliorer la surveillance des cultures, réduire les pertes et renforcer la sécurité alimentaire.
Une dynamique régionale en écho
La transformation de l’agriculture ghanéenne intervient dans un contexte ouest-africain plus large où les chaînes de valeur agricoles et l’intégration économique gagnent en importance. Des initiatives conjointes entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, soutenues par la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et la CEDEAO, visent à dynamiser les corridors agro-industriels transfrontaliers pour renforcer la compétitivité régionale.
Cette dynamique est stratégique pour réduire la dépendance aux importations alimentaires. Certaines estimations montrent que le Ghana dépense plus de 1,5 milliard USD par an en importations alimentaires et intrants de base qui pourraient potentiellement être produits localement avec une stratégie industrielle adaptée.
Par ailleurs, des projets d’intégration régionale, notamment sous l’égide de l’ECOWAS, cherchent à harmoniser les politiques agricoles pour faciliter les échanges intra-régionaux et réduire les barrières commerciales. Cette approche vise à créer un marché ouest-africain plus solide où les produits transformés locaux trouveraient un débouché naturel, renforçant ainsi la croissance économique et l’emploi.
Pourquoi est-ce important ?
L’adoption prochaine de la Politique nationale agro-industrielle du Ghana n’est pas simplement un changement de paradigme pour Accra, mais une évolution déterminante pour l’économie ouest-africaine. Cette stratégie illustre la transition d’un modèle agricole centré sur la production primaire vers un modèle agricole symbolique d’une industrie structurée et compétitive.
Sur le plan économique, cette transformation pourrait significativement augmenter les revenus, créer des emplois plus qualifiés et réduire la dépendance aux importations. En valorisant les produits locaux et en renforçant les chaînes de valeur, le Ghana pourrait stimuler les exportations de produits à forte valeur ajoutée, augmentant ainsi sa part dans les bénéfices générés par les marchés mondiaux une dynamique encore largement captée par les pays acheteurs.
Pour l’Afrique de l’Ouest, l’exemple ghanéen peut devenir un catalyseur d’initiatives similaires. Une politique réussie pourrait encourager les pays voisins à renforcer leurs propres filières agro-industrielles, favorisant l’intégration régionale, la sécurité alimentaire et un développement plus inclusif. Le potentiel de transformation est également un levier majeur pour attirer des investissements directs étrangers (IDE), essentiels pour revitaliser les économies souvent confrontées à des défis structurels.
Enfin, cette stratégie met en évidence l’importance d’une coordination politique cohérente, d’investissements ciblés et d’une implication effective des acteurs privés et communautaires pour surmonter les barrières historiques et bâtir une agriculture résiliente, compétitive et durable.