Mali : comment l’économie résiste à la crise du carburant et à l’instabilité
Les points clés :
Malgré le blocus des importations de carburant imposé par le groupe armé JNIM, l’économie malienne parvient à tenir, la distribution reprend et les files d’attente disparaissent depuis fin novembre.
L’agence de notation Moody’s maintient la note souveraine du Mali, saluant la résilience portée par l’or, l’intégration régionale et une croissance projetée de ~4,9 % en 2025.
Mais les fragilités structurelles, dépendance à l’or, faible diversification, insécurité persistante, dettes, instabilité politique, restent ce qui rend l’avenir incertain.
Depuis septembre 2025, le pays avait été frappé par une profonde crise énergétique : le groupe armé JNIM, affilié à Al-Qaïda, avait ciblé les camions-citernes transportant du carburant vers la capitale et d’autres régions, provoquant un blocus des importations depuis le Sénégal et la Côte d’Ivoire. La conséquence a été immédiate : pénurie, longues files d’attente, rationnements, arrêt d’une grande partie des activités économiques dépendantes du carburant.
Pourtant, dès la fin novembre, la situation a basculé : les ravitaillements ont repris, la circulation est revenue à la normale et les files d’attente font partie du passé. Ce redressement rapide témoigne d’une certaine capacité d’adaptation de la logistique malienne, reconfiguration des routes, relais régionaux, réorganisation de l’approvisionnement, mais aussi de la pression de l’État et des acteurs économiques pour éviter un effondrement prolongé.
Ce choc aurait pu plonger le Mali dans une spirale économique dangereuse, rationnements, inflation, paralysie des transports, rupture des chaînes d’approvisionnement. Que cela n’ait pas eu lieu en dit long sur la résilience de l’économie nationale, sur les marges de manœuvre dont disposent les autorités, et sur la flexibilité des acteurs privés.
Moody’s : résilience affichée, mais fragilité persistante
L’agence de notation Moody’s, dans sa note datée du 2 décembre 2025, a décidé de maintenir la note souveraine du Mali. Le motif principal : la “résilience macroéconomique” du pays, portée par plusieurs facteurs, des ressources minières (principalement l’or), une intégration au marché régional de l’UEMOA, et des perspectives de croissance malgré le contexte.
Moody’s table sur un taux de croissance du PIB réel de 4,9 % en 2025, contre 4,7 % en 2024. Le moteur principal reste le secteur minier, en particulier l’or, ainsi que des flux internes et régionaux d’activités. Toutefois, l’agence reste prudente. Elle rappelle les “vulnérabilités structurelles” : dépendance excessive à l’or et aux matières premières, faible diversification de l’économie, institutions fragiles, gouvernance incertaine, risques sociaux et sécuritaires persistants.
Le déficit budgétaire est estimé autour de 3 % du PIB en 2025 (contre 2,6 % en 2024), tandis que le déficit courant devrait se stabiliser autour de 4,9 %. Ces projections traduisent une pression sur les finances publiques, malgré la résilience, et soulignent l’équilibre fragile dans lequel le Mali navigue.
Le contexte politique contribue aussi à l’inquiétude : coups d’État récents (2020, 2021), tensions avec des groupes armés, insécurité persistante, isolement international partiel à cause de précédentes sanctions régionales, autant de facteurs susceptibles d’affaiblir les perspectives, de faire fuir les investisseurs, ou de retarder les projets de relance.
Or & intégration régionale : des piliers fragiles mais cruciaux
Le secteur minier en particulier la production d’or est, encore aujourd’hui, le point d’ancrage de l’économie malienne. Avec des prix de l’or à un niveau historiquement élevé, les revenus liés à l’exportation minière offrent une bouffée d’air à l’État et aux comptes extérieurs. C’est un élément central de la résilience que Moody’s met en avant.
Mais par nature, un tel pilier reste volatile. Les variations des cours mondiaux de l’or, les aléas de la production, les contraintes sécuritaires dans les zones minières, la pression environnementale sont autant de risques. L’économie reste dépendante d’un secteur aux marges étroites, ce qui rend la stratégie sur le long terme très incertaine.
En parallèle, l’intégration régionale via l’UEMOA, notamment l’accès aux marchés régionaux, la libre circulation des biens et capitaux, la possibilité d’émettre des titres publics régionaux, offre un tampon précieux. En période de choc, la capacité à mobiliser des ressources au niveau régional plutôt qu’international peut aider à amortir les chocs.
Cela dit, la confiance des investisseurs internationaux reste fragile, tant que la situation sécuritaire et politique ne s’assainit pas. Moody’s elle-même conditionne une amélioration de la notation à des “progrès vers un retour à un régime civil” et au retour de l’aide internationale.
Un modèle fragile à consolider, les risques restent nombreux
À y regarder de près, les alertes sont nombreuses. D’abord, la faible diversification économique du Mali : or, négoce, parfois agriculture de rente, mais peu d’industries structurées, peu de transformation locale, peu de chaines de valeur ajoutées. Si l’or flanche, c’est toute l’économie qui vacille.
Ensuite, la gouvernance et l’institutionnel : les institutions publiques restent fragiles, la stabilité politique incertaine, les tensions sécuritaires omniprésentes. Les dépenses de défense absorbent une part importante des ressources, ce qui pèse sur les budgets sociaux, d’investissement, d’infrastructures.
L’accès aux financements concessionnels, déjà limité suite aux sanctions et à l’isolement du Mali, demeure compliqué. Sans retour rapide d’investissements étrangers et d’aide multilatérale, le pays pourrait manquer de moyens pour moderniser ses infrastructures, diversifier son économie, réduire la pauvreté.
Enfin, la population reste très vulnérable aux chocs : inflation, coupures d’électricité, fluctuations des prix des commodités, insécurité, chômage, instabilité. Cela peut fragiliser le tissu social, accentuer les inégalités, provoquer des migrations, ou des tensions internes.
Vers 2026–2027 : quelles perspectives pour le rebond ?
Les projections sont modestes mais optimistes. Le Fonds monétaire international (FMI) anticipe une reprise en 2026, portée par la relance de la production aurifère, une amélioration relative de la sécurité, et un contexte external, un regain potentiel de croissance du PIB autour de 5,5 %, avec une inflation revenant vers 2,5 %.
Si ces projections se réalisent, le Mali pourrait enregistrer un rebond significatif : renforcement des recettes publiques, relance des investissements, reprise des projets d’infrastructures, emploi, relance de l’activité privée, stabilisation sociale.
Mais pour cela, plusieurs conditions doivent être remplies : retour progressif à la stabilité sécuritaire, amélioration de la gouvernance, politique macroéconomique rigoureuse, diversification économique, transparence, incitations à l’investissement, appui à la transformation locale, développement de la chaîne de valeur minière, agricole, industrielle.
Pourquoi est-ce important ?
Le cas malien illustre la fragilité et la résilience d’une économie ouest-africaine confrontée à des chocs multiples : insécurité, crise énergétique, dépendance aux matières premières, instabilité politique. Pourtant, il montre aussi qu’avec des atouts, ressources naturelles, intégration régionale, capacité d’adaptation, les pays peuvent survivre à des crises graves.
Pour la région, cela souligne l’importance de renforcer les institutions régionales (comme l’UEMOA), les mécanismes de solidarité, de marché intégré, d’émission de titres publics régionaux, comme l’une des stratégies de résilience collective face à la volatilité internationale.
Cela met en lumière aussi la nécessité de diversifier les économies : agriculture transformée, mines, agro-industrie, services, technologies, exportations non-primaires, énergie, infrastructures. Une dépendance à l’or ou aux matières premières reste un pari risqué.
Enfin, le cas du Mali devrait servir de leçon : l’investissement dans la stabilité politique, la sécurité, dans la gouvernance, dans la diversification économique, dans des politiques publiques sociales, dans la protection des plus vulnérables, est indispensable pour transformer les crises en opportunités, et bâtir des économies résilientes, inclusives, durables.