Zone franc CFA : la stabilité monétaire sacrifiée sur l'autel de la rigidité financière
Le système CFA est un verrou monétaire et financier (Crédit image : Jeune Afrique)
Les points clés :
Le contrôle strict des devises dans les zones UEMOA/CEMAC bloque les transferts de capitaux, freine le rapatriement des dividendes et paralyse les entreprises françaises.
Les banques centrales régionales centralisent 50 % des réserves de change, limitant la liquidité disponible pour les acteurs privés.
L’absence de flexibilité de la parité fixe euro/CFA engendre une surévaluation structurelle pénalisant leurs compétitivités à l’export.
Le franc CFA est souvent présenté comme un avantage concurrentiel pour les entreprises européennes en Afrique, grâce à un taux de change fixe avec l’euro, garanti par le Trésor français. Or, sur le terrain, ce système révèle un paradoxe : cette stabilité apparente coexiste avec un cadre monétaire rigide qui fait du rapatriement des capitaux une opération lourde, voire impossible. Les banques centrales régionales, BCEAO (UEMOA) et BEAC (CEMAC), imposent des contrôles sévères. En témoignent les avoirs de la BCEAO qui ont chuté de 3 800 à 1 942 milliards FCFA, contraignant ainsi la fermeture des robinets monétaires.
Les entreprises font face à une répression financière masquée : obligation de centraliser 50 % des réserves de change, dérogations nécessaires pour tout transfert supérieur à 75 millions FCFA, et plafond à 100 millions FCFA en CEMAC. Les procédures, longues et imprévisibles, paralysent même les transferts commerciaux, comme ce fut le cas lorsque la BEAC suspendit les échanges non prioritaires en 2024 pour maintenir son compte d’opérations.
Résultat : des délais de plusieurs semaines à mois pour rapatrier les bénéfices, des coûts cachés au travers de montages offshore ou de pratiques de compensation, et un phénomène de « liquidité piégée » qui entrave l’investissement et décourage la création de valeur locale.
Les secteurs bancaires et industriels sont touchés de plein fouet. Société Générale et BNP Paribas ont cédé des filiales francophones, évoquant la baisse d’attractivité malgré des performances locales solides. De même, des majors comme TotalEnergies doivent recourir à des mécanismes complexes, tandis que Orange structure des véhicules régionaux pour contourner le blocage des liquidités.
Les PME françaises, quant à elles, subissent de plein fouet les effets de ce carcan : incapacité à payer les fournisseurs, rémunérer les actionnaires ou encore planifier leur développement. Sans la capacité de contournement dont disposent les grands groupes, elles voient leur agilité compromise.
Ce tableau est aggravé par la surévaluation structurelle de la parité fixe euro/CFA, estimée entre 10 et 20 %, qui fausse la compétitivité, alimente les importations au détriment des exportations, et exacerbe les déséquilibres de la balance des paiements.
Pourquoi est-ce important ?
Le système CFA est un verrou monétaire et financier, héritage d’une architecture post-coloniale, qui bride la fluidité des opérations commerciales et financières au profit d'un ordre macroéconomique rigide. Facile à manipuler politiquement, mais coûteux pour les acteurs économiques, ce carcan limite la compétitivité des entreprises, freine les investissements étrangers, et pousse certaines à se détourner vers des économies à régimes plus souples (Nigéria, Ghana, Kenya, Maroc, Rwanda).
Des acteurs alternatifs, banques panafricaines (Ecobank, UBA, Standard), fintechs et mobile money, s’en détachent, captant désormais plus de 35 % de parts de marché bancaire en zone franc.
Si la survie d’un franc ultra stable se justifie théoriquement par la prévisibilité des échanges, il devient un frein pour les entreprises confrontées à l’inertie monétaire. Les réformes menées (fin du dépôt obligatoire, projet ECO, flexibilité accrue) restent purement cosmétiques tant qu'elles n’abolissent pas les contrôles sur les changes et la centralisation des réserves. Les intérêts établis et la dépendance institutionnelle rendent cette mutation complexe.
Le véritable enjeu est désormais la capacité de la zone franc à évoluer vers une architecture qui libère les flux financiers tout en maintenant un ancrage monétaire crédible. Sans cela, le risque est double : voir les capitaux et entreprises migrer vers des zones plus favorables et maintenir un système sous contrôle mais incapable de porter l’émergence économique souhaitée.