Commerce Chine-Afrique : entre financements massifs, dette croissante et industrialisation en question
Les points clés :
La Chine a renforcé sa présence économique en Afrique avec plus de 39 milliards de dollars d’engagements au premier semestre 2025.
De grands projets d’infrastructures et d’énergie transforment le paysage africain mais alimentent aussi les inquiétudes liées à la dette et aux déséquilibres commerciaux.
L’avenir dépendra de la capacité des pays africains à transformer cette coopération en levier d’industrialisation et de souveraineté économique.
Depuis 2023, l’Afrique s’est imposée comme la principale bénéficiaire du projet chinois des « Nouvelles Routes de la Soie ». Au premier semestre 2025, les engagements financiers de la Chine envers le continent ont atteint 39 milliards de dollars, dont 30,5 milliards pour les contrats de construction, soit une hausse spectaculaire de 395 % par rapport à l’année précédente, et 8,5 milliards pour les investissements directs, en progression de 16,5 %. Pour l’ensemble de l’année 2024, ces engagements avaient déjà culminé à près de 29,2 milliards de dollars, en croissance de 34 % par rapport à 2023, dont 13,24 milliards pour les investissements et 15,97 milliards pour la construction.
Lors du Forum de coopération sino-africaine de septembre 2024, le président Xi Jinping a annoncé une enveloppe supplémentaire de plus de 50 milliards de dollars destinée au continent sur trois ans. Ce plan inclut notamment des crédits pour soutenir les exportations africaines et une mesure phare : l’élimination des taxes douanières pour les 53 États africains entretenant des relations diplomatiques avec Pékin. Cette initiative vise à atténuer un déséquilibre commercial estimé à 62 milliards de dollars en faveur de la Chine en 2024.
La répartition des fonds illustre les priorités géostratégiques de Pékin. Le Nigeria, à lui seul, a absorbé plus de 21 milliards de dollars, soit plus de la moitié des engagements destinés à l’Afrique subsaharienne. La Tanzanie suit avec 3,6 milliards, dont une partie a servi à financer des projets énergétiques d’envergure, comme un complexe hydroélectrique de 4,9 milliards de dollars.
Depuis 2013, plus de 700 milliards de dollars d’accords ont été conclus entre la Chine et une quarantaine de pays africains. Parmi les projets phares figurent la ligne ferroviaire Addis-Abeba, Djibouti, la liaison Mombasa, Nairobi au Kenya et le barrage de Caculo Cabaça en Angola, achevé en 2024, qui dispose d’une capacité installée de 2 172 MW pour un coût de 4,5 milliards de dollars.
Les échanges commerciaux bilatéraux restent dynamiques. Ils ont atteint 282 milliards de dollars en 2023, soit une hausse de plus de 11 % en un an. Les exportations africaines vers la Chine reposent surtout sur le pétrole, les minerais et les produits agricoles, tandis que l’Afrique importe massivement des biens manufacturés, des équipements électroniques et des machines-outils.
Cependant, ces relations sont loin d’être exemptes de critiques. La dépendance croissante entraîne un risque d’endettement préoccupant : dans certains pays comme la Zambie, la Tanzanie ou le Nigeria, la dette contractée auprès de la Chine a parfois dépassé 30 % du PIB. À cela s’ajoutent le recours limité à la main-d’œuvre locale, qui freine le transfert de compétences, l’opacité des contrats, un déséquilibre structurel des échanges et des impacts environnementaux notables liés à certains chantiers.
Face à ces critiques, la Chine ajuste sa stratégie. Elle mise sur la suppression progressive des barrières douanières, la stimulation de l’investissement privé, le soutien aux technologies vertes et aux énergies renouvelables, ainsi que sur l’élargissement des programmes de formation et de transfert de compétences à destination des élites africaines.
Pour les pays africains, le véritable enjeu est de transformer cette relation asymétrique en un partenariat équilibré. Il s’agit de tirer parti de l’afflux d’investissements chinois pour accélérer l’industrialisation, développer des chaînes de valeur locales, renforcer la formation des jeunes et réduire la dépendance vis-à-vis des importations. La Chine, soucieuse de préserver son image internationale, semble prête à ajuster ses pratiques pour répondre à ces attentes croissantes.
Pourquoi c’est important ?
L’intensification des relations économiques sino-africaines illustre l’évolution d’un partenariat aux dimensions stratégiques. Si la Chine apporte des financements massifs et des infrastructures indispensables, ces investissements soulèvent des questions cruciales de soutenabilité financière, d’équilibre commercial et de souveraineté politique. Pour l’Afrique, l’enjeu est de transformer cette manne en levier de développement endogène, capable de créer des emplois, d’industrialiser les économies et de renforcer leur autonomie stratégique dans un contexte mondial de plus en plus concurrentiel.