Côte d’Ivoire : 30 milliards FCFA pour Twyford-Keda, une usine de carreaux “made in” qui change la donne industrielle
Les points clés :
La première usine de carreaux locale “Twyford-Keda” à Alépé avec 30 milliards FCFA d’investissement génère plus de 1 000 emplois et produit déjà 12 millions de m² par an.
La Côte d’Ivoire réduit sa dépendance aux importations du secteur du BTP en développant sa capacité industrielle locale pour les matériaux de construction.
Cette usine s’inscrit dans une stratégie d’industrialisation nationale visant à diversifier l’économie, renforcer la balance commerciale, et stimuler le tissu économique local autour de la qualité, insertion et emplois féminins et jeunes.
L’usine Keda Côte d'Ivoire Ceramics, sous la marque Twyford, inaugurée à Alépé (zone industrielle, ~ 40 km au Nord-Est d’Abidjan), représente un tournant pour l’industrie des matériaux de construction du pays. L’investissement initial confirmé est de 54 millions de dollars, soit environ 30 milliards FCFA. Ce premier acte permet de produire 12 millions de mètres carrés de carreaux par an, avec plus de 1 000 emplois créés, dont 500 permanents. Une seconde ligne de production est planifiée pour 2026, avec un investissement additionnel de 35 millions de dollars, et portera la capacité annuelle à 21 millions de m².
Selon les communiqués de KEDA Industrial Group, le site couvre environ 49 à 50 hectares, avec une première ligne de production d’une capacité journalière estimée à 40 000 m² de carreaux. Les produits attendus comprennent carreaux pour murs, de sol résistants à l’abrasion, carreaux émaillés de couleurs, etc.
Analyse
Cette usine s’inscrit dans la stratégie ivoirienne de diversification économique, visant à sortir du modèle à forte dépendance agricole et d’importations, particulièrement dans le secteur de la construction. Le secteur immobilier connaît une croissance soutenue en Côte d’Ivoire, entraînant une demande élevée de matériaux de qualité, ce qui jusque-là posait problème : les carreaux ou matériaux finis étaient largement importés, avec surcoût, délais, variation de qualité. Le projet permet de répondre à cette demande localement, potentiellement à moindre coût pour le consommateur.
Avec plus de 1 000 emplois générés, dont une part significative de permanents, le projet favorise l’insertion des jeunes et des femmes dans les métiers industriels, logistiques et les services connexes (transport, maintenance, packaging, etc.). Cela améliore non seulement les indicateurs d’emploi mais contribue à un développement territorial plus équilibré, particulièrement autour d’Alépé, qui devient un pôle industriel émergent.
La réduction des importations de carreaux signifie aussi un ajustement positif de la balance commerciale ivoirienne. Moins de devises sorties pour importer, plus de valeur ajoutée produite localement. Cela renforce la souveraineté économique et améliore la résilience face aux chocs externes (hausse des prix internationaux, variation du fret maritime, etc.).
Enjeux, défis et perspectives
L’usine devra faire face à plusieurs défis pour réaliser pleinement son potentiel. Primo, la concurrence des importations à prix bas reste une menace : les matériaux importés peuvent bénéficier de subventions, de flottes de transport ou d'échelle que la production locale ne possède pas toujours. Assurer une qualité constante, un coût compétitif (transport interne, énergie, logistique) sera crucial.
Deuxio, la durabilité environnementale et la gestion des déchets de production céramique (eaux, argiles, émissions) devront être maîtrisées, surtout dans un contexte où les normes environnementales deviennent de plus en plus importantes pour l’exportation ou les financements internationaux.
Tertio, la formation et la disponibilité de personnel technique qualifié localement (forgeron, maintenance, gestion de ligne) représenteront un facteur clé. Les fermetures de lignes ou les pannes peuvent coûter cher, tant en production qu’en image.
Quarto, la demande locale doit rester forte et stable. Si le secteur de la construction ralentit, les capacités de production risquent de dépasser la consommation, ce qui pourrait engendrer une surcapacité coûteuse.
Cependant, les perspectives sont attractives : la deuxième ligne attendue pour 2026 permettrait de presque doubler la capacité, ce qui ouvre la porte aux marchés d’exportation régionale (pays voisins de l’UEMOA, marchés sous-régionaux francophones), sous réserve d’harmonisation réglementaire, logistique et normes de transport.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que ce projet est plus qu’un usine de carreaux : il symbolise ce que signifie industrialiser avec sens en Afrique de l’Ouest. Il ne s’agit pas simplement de produire localement, mais de créer une filière où la valeur ajoutée reste dans le pays, où les emplois sont créés localement, où les jeunes et les femmes trouvent une opportunité concrète.
La Côte d’Ivoire, souvent citée comme l’un des pays les plus dynamiques en Afrique francophone, renforce ici l'idée que l'industrialisation, loin d’être un slogan, peut être un vecteur de transformation structurelle. Ce projet contribue aussi à la construction d’une souveraineté économique : moins dépendre des importations, moins subir les fluctuations des monnaies étrangères, plus stabiliser les coûts pour les ménages et le secteur de la construction.
Sur le plan régional, ce type de projet peut devenir un exemple à suivre pour les autres pays de l’UEMOA et de l’Afrique de l’Ouest. En renforçant les capacités de production de matériaux de construction, les États limitent les sorties de devises liées aux importations, favorisent la création d’emplois industriels, renforcent le tissu économique local.
Enfin, dans un monde où les chocs externes (pandémie, hausse du fret, inflation importée) pèsent lourd, produire local c’est résister : résister aux ruptures de chaîne logistique, à la volatilité des prix, à la dépendance. Ce projet de Keda Twyford s’inscrit dans cette démarche de résilience, qualité et développement durable.