Nigéria : un fonds de 1 milliard USD pour transformer les petits exploitants agricoles
les ressources serviront à financer l’achat d’intrants (Crédit image : Atalayar)
Les points clés :
Le Nigéria met sur pied un Fond national pour les petits exploitants grâce à un financement de 1 milliard USD signé avec Afreximbank.
Ce partenariat vise à améliorer l’accès au crédit, financer la mécanisation, les intrants, et atténuer les effets du taux de change pour les agriculteurs.
L’initiative s’inscrit dans la Renewed Hope Agenda du président Tinubu et marque une étape clé vers la souveraineté alimentaire du pays.
Lors de la Foire commerciale intra-africaine (IATF 2025), à Alger, la Bank of Agriculture (BOA) du Nigéria et la Banque africaine d’Import-Export (Afreximbank) ont signé un accord de financement de 1 milliard de dollars pour soutenir le nouveau National Smallholder Farmers Fund.
Ce fonds, approuvé dans le cadre du Renewed Hope Agenda du président Bola Ahmed Tinubu, est conçu comme un fonds tournant, doté d’un mécanisme de cofinancement avec les gouvernements d’États fédéraux. Il vise à combler les lacunes structurelles du financement agricole, particulièrement pour les petits exploitants qui représentent environ 95 % de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur agricole nigériane.
Concrètement, les ressources serviront à financer l’achat d’intrants (semences, engrais, produits agrochimiques), la mécanisation, les infrastructures de stockage et regroupement (agrégation), ainsi que les infrastructures de logistique pour diminuer les pertes post-récolte. Un autre aspect crucial de l’accord est l’inclusion d’un mécanisme de garantie de crédit offert par Afreximbank pour réduire le risque associé à l’octroi de prêts à ces petits agriculteurs.
Un volet central du dispositif est la conversion de devises : l’accord prévoit des swaps de devises permettant de convertir le financement libellé en dollars en naira local pour les prêts, ce qui protège les agriculteurs contre les fluctuations du taux de change. Cela est particulièrement important dans un contexte où le naira subit des pressions et où les coûts des intrants importés peuvent fluctuer fortement.
Le partenariat est aussi symbolique : il réaffirme l’importance de l’agriculture non seulement pour la production alimentaire, mais comme moteur de transformation économique, création d’emplois ruraux, intégration aux marchés intérieurs et internationaux, et comme levier de développement des chaînes de valeur.
Forces, défis et leviers de réussite
La force principale de cet accord tient dans son ampleur, sa structuration (fonds tournant, garantie, mécanisme de conversion monétaire), et son alignement avec une stratégie nationale plus large (Renewed Hope Agenda). Cela crée une cohérence politique et institutionnelle nécessaire pour un secteur agricole longtemps fragmenté et sous-financé.
Cependant, des défis demeurent : mettre en place des mécanismes de garantie efficaces nécessite une gouvernance transparente, des critères de sélection clairs, et une capacité administrative locale pour gérer la distribution du crédit. Le risque de défaillance (non remboursement) peut être élevé si les agriculteurs ne disposent pas d’infrastructures adéquates, de formations, ou d’une chaîne logistique fiable.
Le volet devise est essentiel mais complexe : les fluctuations monétaires soudaines peuvent générer des coûts imprévus. Assurer que les swaps de devise soient accessibles, que les taux appliqués soient raisonnables, et que la conversion ne génère pas de surcoûts cachés sera un défi.
Le marché des intrants agricoles importés (semences, engrais, agrochimiques) dépend fortement des prix internationaux, du transport, et des frais de douane. L’accord peut atténuer certains coûts, mais ne les élimine pas tous. De plus, les petits exploitants doivent être soutenus non seulement financièrement, mais par des services complémentaires : extension agricole, formation, accès à l’eau, infrastructures rurales, marchés fiables.
Perspectives d’impact
Si bien mis en œuvre, ce fonds pourrait transformer la productivité agricole du Nigéria. Une meilleure adéquation des intrants, une mécanique (mécanisation) accrue, et moins de pertes post-récolte peuvent entraîner des gains de rendement substantiels. Cela pourrait à son tour réduire les importations alimentaires, améliorer la sécurité alimentaire nationale, et contribuer à la réduction de la pauvreté rurale.
L’intégration aux marchés transformationnels (transformation locale des produits, agro-industrie) pourrait augmenter la valeur ajoutée, créer des emplois dans les zones rurales, et encourager la montée en qualité des produits agricoles.
Par ailleurs, ce partenariat illustre une tendance plus large en Afrique : la montée des financements intra-africains, des partenariats privés-publics, et des instruments financiers innovants pour pallier les déficits publics. Le Fonds national des petits exploitants pourrait devenir un modèle réplicable dans d’autres États où le financement agricole est un goulot d’étranglement.
Pourquoi est-ce important ?
L’Afrique de l’Ouest compte parmi ses forces principales le secteur agricole, source de nombreux emplois, moyen de subsistance pour des millions de petits exploitants, et pilier traditionnel de la sécurité alimentaire. Mais ce secteur est souvent limité par l’accès au crédit, aux technologies modernes, et à des marchés organisés. Le projet BOA-Afreximbank cible précisément ces obstacles.
Au Nigéria, premier producteur agricole en termes de taille de population, ce fonds pourrait signifier non seulement une augmentation de la production mais aussi une réduction de la vulnérabilité aux chocs externes : variabilité des prix internationaux, fluctuations du taux de change, crise alimentaire mondiale. En assurant que les agriculteurs aient accès à des financements stables et à un soutien institutionnel, le pays augmente sa résilience.
Pour la région ouest-africaine, ce type d’initiative renforce l’idée que les enjeux de souveraineté alimentaire, d’autosuffisance, et de transformation économique ne sont pas isolés : la réussite au Nigéria peut inspirer des politiques similaires dans d’autres pays comme le Burkina Faso, le Ghana, la Côte d’Ivoire, etc. Le partage d’expériences et la mise en place de mécanismes communs (importation d'intrants, zones de transformation, standardisation) peuvent tirer vers le haut l’ensemble de la sous-région.
Enfin, dans un monde où le financement international est parfois incertain, où les taux d’emprunt extérieur sont élevés, il est crucial que les pays africains puissent mobiliser des financements structurés, innovants, partenariats publics-privés, et financements intra-continentaux pour leurs secteurs stratégiques. Cela contribue à un développement plus durable, plus juste et plus autonome.