Afrique : 680 milliards de dollars par an pour combler le déficit de financement, sauver l’hygiène publique et la santé communautaire
Les points clés :
L’Afrique ferait face à un déficit financier de près de 680 milliards de dollars par an pour atteindre une croissance inclusive et durable, mettant en danger la capacité des États à financer les services essentiels comme l’hygiène publique.
Les programmes existants comme le fonds IDICE au Nigéria (618 millions USD) démontrent que les financements peuvent se mobiliser pour l’innovation, mais restent insuffisants pour répondre aux besoins sanitaires de base.
Renforcer l’hygiène publique (eau potable, assainissement, lutte contre les épidémies) devrait prendre la priorité dans les réformes budgétaires, les partenariats et la gouvernance pour éviter que le déficit ne creuse les inégalités de santé.
Lors de la 66ᵉ Conférence annuelle de la Société économique nigériane à Abuja, l'Institut africain de développement de la Banque africaine de développement (BAD) a mis en lumière l’ampleur du déficit de financement que subit le continent. Selon les participants, l’Afrique a besoin de 811 milliards de dollars chaque année pour parvenir à une croissance inclusive et durable. Toutefois, le manque à gagner s’élèverait déjà à 680 milliards de dollars. Ces montants sont vastes mais concernent directement les domaines de la santé publique et de l’hygiène, des secteurs clés négligés dans de nombreux budgets nationaux.
Parmi les États dits en transition, ceux ayant des fragilités socio-économiques, politiques ou infrastructurelles, les besoins chiffrés sont estimés à 210 milliards USD par an. Or, leur déficit actuel serait de 188 milliards, ce qui les place dans une situation particulièrement critique pour les investissements dans l’hygiène, l’assainissement, la prévention épidémique, etc.
Un exemple concret du côté du Nigéria : le programme iDICE (« Investment in Digital and Creative Enterprises ») financé à hauteur de 618 millions USD par la BAD et ses partenaires montre qu’il est possible de mobiliser des fonds pour des secteurs nouveaux (numérique, créatif). Toutefois, ces financements sont loin de couvrir les besoins sanitaires élémentaires, comme l'accès à l’eau potable, à l’assainissement, à la lutte contre les vecteurs, etc.
Hygiène publique, dans ce contexte, désigne un ensemble de services, eau potable, assainissement, collecte des déchets, hygiène personnelle, lutte contre les nuisibles, qui sont fondamentaux pour prévenir les maladies infectieuses, améliorer la qualité de vie et alléger les dépenses médicales. Pourtant, ces services restent insuffisamment financés, souvent traités comme des coûts secondaires dans les budgets nationaux.
Recoupements et contexte externe
Selon les rapports récents, l’aide publique au développement (APD) pour l’Afrique est en recul ou incertaine dans plusieurs cas, ce qui pèse lourdement sur les investissements dans l’hygiène et la santé.
Le déficit de financement des infrastructures, dont font partie les infrastructures d’hygiène publique (eaux, égouts, assainissement), est estimé à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an. Dans ce cadre, les gouvernements ne peuvent pas faire l’impasse sur la hiérarchie des priorités : lorsque l’on réduit le déficit, il y a un arbitrage à faire.
Les États africains auraient besoin de réformes de gouvernance, de meilleure collecte fiscale, de lutte contre la corruption, et de mobilisation de ressources internes pour libérer les fonds nécessaires. Des partenariats avec le secteur privé, les ONG, les institutions multilatérales sont également indispensables.
Implications pour l’hygiène publique
Quand un pays ne dispose pas des ressources suffisantes, des services de base comme l’accès à l’eau potable ou l’assainissement, ou la gestion des déchets, tendent à être sous-financés. Le déficit de financement global se traduit directement en fragilité sanitaire : épidémies, mortalité infantile, maladies diarrhéiques, etc.
L’hygiène publique ne peut être traitée comme un secteur de second ordre. Par exemple, les crises sanitaires (choléra, typhoïde, peste, etc.) dans plusieurs régions du Sahel ou d’Afrique de l’Ouest montrent que le défaut d’assainissement ou d’infrastructures d’hygiène amplifie les catastrophes, voire les déclenche.
Par ailleurs, la santé publique et l’hygiène sont fortement liées à l’économie : une population en bonne santé contribue à une meilleure productivité, réduit les dépenses en soins, permet aux enfants de rester scolarisés, etc. L’investissement dans l’hygiène publique est donc non seulement un impératif moral, mais économique.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que sans hygiène publique robuste, les ambitions de croissance inclusive, de développement durable et de réduction des inégalités sont compromises. Le déficit de financement mis en avant lors de la conférence de la BAD à Abuja montre que si l’on ne redirige pas suffisamment de ressources vers la santé communautaire, l’assainissement et l’hygiène, les populations les plus vulnérables continueront d’assumer le coût, humain, social et économique.
Pour l’Afrique de l’Ouest particulièrement, où les densités de population, les taux de croissance démographique, le changement climatique, les migrations internes rendent les infrastructures sanitaires encore plus critiques, l’absence d’investissement dans l’hygiène menace de freiner l’industrialisation, la croissance, et rend les nations plus vulnérables aux chocs externes.
Des pays comme le Nigéria, le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire pourraient tirer des leçons : allouer une part plus grande du budget aux services d’hygiène publique, intégrer ces dépenses dans les plans nationaux de développement, financer des infrastructures d’assainissement de base, promouvoir la gestion des déchets, la lutte contre les nuisibles, etc.
Au-delà, la mobilisation des bailleurs internationaux, la réallocation des ressources nationales, et l’innovation dans les financements (fonds vert, partenariats public-privé, obligations d’impact) sont essentiels pour combler le gouffre financier identifié. Sans cela, les Objectifs de développement durable (ODD), en particulier ceux liés à la santé, l’eau, la propreté, resteront hors de portée pour de larges pans de la population africaine.