Guinée : crise du cash, 94 % des billets hors des banques, comment restaurer confiance et liquidité ?
Les points clés :
94 % des billets émis par la Banque centrale guinéenne ne reviennent jamais au système bancaire, aggravant une grave crise de liquidité.
Le crédit au secteur privé représente moins de 12 % du PIB, bien en dessous de la moyenne ouest-africaine d’environ 25 %.
La Banque centrale mise sur la digitalisation, la bancarisation accrue, et des mesures de confiance pour sortir de cette crise de circulation monétaire.
La Guinée traverse actuellement une crise monétaire profonde, centrée sur une crise du cash (liquidité physique). Les autorités monétaires, notamment la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), alertent sur le fait que près de 94 % des billets en circulation ne reviennent pas dans les banques. Ce phénomène signifie que même si de nouveaux billets sont imprimés ou injectés, les banques restent vides de liquidités, les guichets automatiques et bureaux de banque peinent à approvisionner le public.
Cette situation est aggravée par une très faible intermédiation bancaire. Le crédit accordé au secteur privé ne dépasse pas environ 9-12 % du PIB, selon les données les plus récentes, là où plusieurs pays ouest-africains atteignent en moyenne 20-30 % ou plus.
L’économie guinéenne reste dominée par l’informel, ce qui favorise la thésaurisation (la conservation de cash hors banques), la méfiance envers les banques, le manque d’accès bancaire pour certaines zones, et des coûts logistiques pour déposer ou transporter de l’argent. Lorsque les billets sont retenus par des individus, ou dans des circuits non bancaires, cela crée un cercle vicieux : les banques ne disposent pas de liquidités pour prêter, ce qui réduit le dynamisme économique, la demande de crédit reste faible, et le public continue à préférer garder du cash.
Forces, défis et leviers
Le principal défi réside dans la restauration de la confiance du public dans le système bancaire. Si les citoyens ne déposent pas leur cash et le gardent dans l’économie informelle ou sous le matelas, peu d’actions de la banque centrale (y compris l’impression de nouveaux billets) pourront rétablir une liquidité suffisante. Le rôle de la culture, des perceptions, et des infrastructures bancaires est donc central.
La transition vers les paiements électroniques et la digitalisation des transactions apparaît comme un levier important. Des services de mobile money, porte-monnaie électronique, et autres plateformes de paiement numérique peuvent aider à réduire la dépendance au cash, améliorer la traçabilité, réduire les coûts et les délais, et améliorer l’accès aux services financiers, y compris dans les zones rurales.
L’extension de la bancarisation, par création de points de services bancaires, d’agences, de partenariats avec des opérateurs postaux ou fintechs, est nécessaire. Renforcer la confiance, garantir la sécurité des dépôts, des services bancaires accessibles, transparents, avec de faibles coûts, est essentiel pour convaincre les populations de remettre leurs fonds dans le circuit formel.
Un autre levier est la mise en place ou le renforcement d’instruments de politique monétaire et réglementaires : outils de supervision, assurance des dépôts, mécanismes de résolution des crises, régulation des fintechs et des opérateurs de paiement. L’amélioration des infrastructures logistiques bancaires (transport d’argent, sécurité, disponibilité de guichets automatiques, etc.) est aussi critique.
Perspectives
Si les mesures annoncées sont bien exécutées, la Guinée pourrait connaître une amélioration progressive de la liquidité bancaire. Le renforcement du secteur privé (via l’augmentation du crédit), l’essor du numérique, et la réduction des fuites de billets vers l’économie informelle peuvent stimuler l’investissement, l’activité économique, l’emploi.
Le pays pourrait également, à moyen terme, bénéficier d’un accroissement des recettes fiscales indirectes, car les opérations formalisées laissent des traces fiscales contrairement aux transactions informelles. Cela renforcerait la capacité de l’État à financer ses dépenses, à investir dans les infrastructures, l’éducation, la santé, etc.
Cependant, le chemin est semé d’obstacles : éviter l’hyperinflation due à trop d’injection de liquidité, assurer la stabilité macroéconomique, garantir le taux de change, éviter que les coûts des services bancaires ne restent prohibitifs ou que les frais liés aux paiements électroniques ne freinent leur adoption.
Pourquoi est-ce important ?
La crise du cash en Guinée n’est pas un simple problème technique ou financier, elle touche au cœur de la capacité d’un pays à se développer. Lorsqu’une économie ne peut pas mobiliser l’épargne nationale, parce que l’argent reste inactif ou hors du circuit formel, elle se prive de ressources pour financer l’investissement productif, le commerce, l’industrie.
Pour les PME, qui constituent souvent le moteur de l’économie guinéenne, l’absence de liquidité dans les banques limite leur capacité à obtenir des crédits, à investir, à se développer. Cela freine la création d’emplois, renchérit les coûts de fonctionnement, accroît les marges d’incertitude.
À l’échelle ouest africaine, la Guinée n’est pas l’unique pays confronté à une telle problématique, mais son cas illustre les conséquences dramatiques d’une très faible intermédiation bancaire. Dans un environnement régional où le commerce intra-UEMOA ou CEDEAO dépend de transactions fiables, de facilités bancaires, et de confiance dans les systèmes de paiement, de telles crises affectent aussi les chaînes d’approvisionnement transfrontalières, les coûts logistiques, et l’intégration économique.
Enfin, dans un contexte mondial où la digitalisation financière progresse, où les plateformes mobiles et fintechs se multiplient, la Guinée a l’opportunité de faire partie de ceux qui sautent le pas, mais cela nécessite des investissements, des politiques publiques claires, des partenariats avec les acteurs privés, et de la pédagogie envers les populations. La réussite dans ce domaine pourrait accroître la résilience économique face aux chocs, inflation, dépréciation monétaire, perturbations externes, et placer le pays sur une trajectoire de croissance plus inclusive.