Nigeria : Bola Tinubu propose de retirer les contrats pétroliers à la NNPC pour restaurer la transparence dans le secteur
Le gouvernement envisage d’amender le PIA (Crédit image : Jeune Afrique)
Les points clés :
Le gouvernement nigérian propose d’amender le Petroleum Industry Act (PIA) de 2021 pour transférer à la NUPRC la gestion des contrats pétroliers, aujourd’hui détenue par la NNPC, afin de réduire les “statutory leakages” et les déductions opaques.
Depuis le lancement des réformes sous la présidence Tinubu, le Nigeria a attiré 18,2 milliards de dollars d’engagements d’investissements en amont (upstream) grâce à 28 plans de développement de champs (FDPs) approuvés.
Le régulateur NUPRC renforce ses actions de transparence : audits publics, collaboration avec NEITI pour la divulgation des bénéficiaires effectifs, réformes digitales de délivrance de permis, et obligation de redevances non payées pour des sociétés comme OML18.
Depuis l’arrivée de Bola Ahmed Tinubu au pouvoir en 2023, le Nigeria a entrepris plusieurs réformes visant à assainir le secteur pétrolier, qui est central dans l’économie nationale. Le code pétrolier de 2021 (Petroleum Industry Act, PIA) avait déjà clarifié plusieurs responsabilités, introduit un cadre légal moderne, mais certaines pratiques opaques persistaient, notamment en ce qui concerne la gestion des contrats, les distributions de revenus pétroliers, les royalties, les pénalités en cas de gaz torché (« gas flaring »), etc.
Selon un article de Reuters du 19 septembre 2025, le gouvernement envisage d’amender le PIA afin de transférer le pouvoir de gestion des contrats pétroliers (qui revient actuellement à la NNPC, qui est à la fois opérateur et entité commerciale) à la Commission de régulation en amont, la Nigeria Upstream Petroleum Regulatory Commission (NUPRC). Le but est de séparer les fonctions de commercialisation/opérationnelle et de supervision/régulation, éliminant les conflits d’intérêt inhérents au fait qu’une même entité exerce les deux rôles.
Parmi les motivations de cette réforme figurent la réduction des « leakages statutaires », c’est-à-dire des pertes ou recettes détournées ou non perçues du fait de déductions opaques, défaillances de contrats, clauses ambiguës, etc. Le Ministre de la Justice, Lateef Fagbemi, a souligné que ces fuites coûtent chaque année des milliards de dollars à l’État.
En parallèle, la NUPRC a obtenu plusieurs succès récents : l’approbation de 28 plans de développement de champs (Field Development Plans, FDPs) qui mobilisent 18,2 milliards USD d’investissements. Ces engagements sont censés débloquer environ 1,4 milliard de barils de pétrole et 5,4 TCF (trillion cubic feet) de gaz, avec une production additionnelle attendue de ~591 000 barils/jour de pétrole et 2,1 BSCFD (billion standard cubic feet per day) de gaz.
La NUPRC renforce aussi sa transparence : elle collabore avec la Nigeria Extractive Industries Transparency Initiative (NEITI) pour la divulgation des bénéficiaires effectifs des entreprises extractives, met en place des plateformes digitales pour délivrance de permis, des audits, des obligations de paiement de redevances et pénalités. Par exemple, la société OML18 a été sommée de verser 4,02 millions USD de sommes dues, parmi d’autres obligations non réglées.
Enjeux, défis et risques
Transférer la gestion des contrats de la NNPC à la NUPRC est un changement institutionnel profond. Il faut que le régulateur soit doté non seulement des pouvoirs légaux, mais aussi des capacités techniques, financières et humaines pour gérer ces fonctions rigoureusement. Il y a un risque que la NUPRC devienne, à son tour, une entité surchargée ou capturée si les mécanismes de gouvernance ne sont pas stricts.
Il y a aussi le défi de la mise en œuvre : contrats existants, clauses de contrats antérieurs, droits des investisseurs, obligations contractuelles internationales, arbitrage, etc. Changer les responsabilités sera probablement contesté juridiquement et politiquement. Certains acteurs liés à la NNPC ou des partenaires commerciaux pourraient s’opposer.
La transparence exige que tous les ajustements légaux, financiers, réglementaires soient faits avec publication claire, audit indépendant, participation citoyenne et intégrité dans l’exécution. Sans cela, la réforme pourrait rester symbolique.
Enfin, il est indispensable de préserver la confiance des investisseurs tout en rassurant la population sur l’utilisation des revenus pétroliers. Si les fuites diminuent mais que les résultats visibles (routes, santé, éducation, renouvellement des infrastructures, réduction de la pauvreté) ne suivent pas, il y a un risque de désillusion.
Perspectives
Si ce transfert est acté, le Nigeria pourrait connaître une amélioration significative de la traçabilité des revenus pétroliers, une augmentation des recettes fiscales, une réduction des pertes, et un renforcement de la réputation internationale en termes de gouvernance. Cela pourrait aussi encourager davantage d’investissements dans le secteur pétrolier et gazier, y compris dans les projets profonds (deepwater), grâce à un cadre réglementaire plus clair et prévisible.
Dans un scénario favorable, le Nigeria peut atteindre ses cibles de production accrue de pétrole et de gaz plus rapidement, améliorer son ratio exportations vs importations énergétiques, mieux financer ses obligations budgétaires, et renforcer la sécurité énergétique nationale. Sur le plan régional, des pays voisins pourraient s’inspirer de ce modèle de séparation des fonctions réglementaires et opérationnelles pour assainir leurs propres secteurs extractifs.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que le secteur pétrolier représente une part cruciale des recettes publiques au Nigeria, taxes, royalties, parts d’État dans les joint-ventures, etc., et tout manque à gagner dû à des pratiques opaques ou des conflits d’intérêt pèse fortement sur le budget national, la capacité de l’État à financer les services publics et les infrastructures.
Parce que la crédibilité auprès des investisseurs dépend largement de la transparence et de la séparation des pouvoirs. Si le Nigeria démontre qu’il peut réformer en profondeur, cela renforcera son attractivité, abaissera le coût des capitaux, réduira les risques perçus, et pourrait débloquer davantage de financements dans le pétrole, le gaz, mais aussi dans les énergies renouvelables en raison des synergies réglementaires et de gouvernance.
Parce que pour l’Afrique de l’Ouest, où de nombreux pays dépendent fortement des secteurs extractifs, ce type de réforme est un exemple concret de bonne gouvernance. Il démontre qu’il est possible de corriger les déséquilibres institutionnels, de séparer les rôles, d’imposer transparence, de réduire la perte de revenus, sans casser le secteur mais au contraire le rendre plus résilient.
Parce que les citoyens, les collectivités locales, les communautés pétrolières, sont parmi ceux qui subissent le plus les conséquences des fuites : revenus non perçus, manque d’investissement dans les infrastructures locales, effets environnementaux non compensés. Une réforme efficace pourrait améliorer le partage des bénéfices et renforcer la justice fiscale.