Afrique subsaharienne : pourquoi la 5G ne pèse encore que 1,2 % des connexions mobiles ?
Les technologies plus anciennes continuent de dominer (Crédit image : Africanews)
Les points clés :
La 5G ne représente aujourd’hui que 1,2 % des connexions mobiles en Afrique subsaharienne, malgré d’importants investissements.
Les opérateurs africains ont investi 28 milliards de dollars au cours des cinq dernières années pour moderniser leur réseau, et planifient 62 milliards en CAPEX d’ici 2030 pour étendre la 5G.
Le coût élevé des smartphones compatibles 5G et des forfaits de données reste un obstacle majeur, le prix des forfaits atteignant 4,2 % du revenu mensuel pour 2 Go en 2024, au-dessus du seuil d’« abordabilité » de 2 %.
L’Afrique subsaharienne se trouve à un carrefour technologique. Bien que les opérateurs aient alloué des ressources importantes, environ 28 milliards USD sur les dernières années pour renforcer leurs réseaux et couvrir de nouvelles zones, la pénétration de la 5G demeure extrêmement faible. Selon le rapport The State of Broadband in Africa 2025 (Union internationale des télécommunications & UNESCO), la 5G ne représentait que 1,2 % des connexions mobiles dans la région.
À titre de repère, les technologies plus anciennes continuent de dominer : la 3G constitue encore la majorité des connexions, la 4G représente environ un tiers, et la 2G persiste avec une part non négligeable. Le rapport projette cependant une évolution : d’ici 2030, la 3G pourrait reculer à 33 %, la 2G descendre à 2 %, la 4G s’établir à 49 % et la 5G atteindre 17 %.
Cette lente transition contraste fortement avec d'autres régions du monde. Par exemple, la 5G pèse déjà 61 % des connexions en Chine ou 77 % en Amérique du Nord selon des estimations du rapport. Cette fracture numérique met en lumière le défi que l’Afrique doit relever pour ne pas rester en marge de l’économie numérique mondiale.
Les freins structurels : coût, équipements et inégalité de l’adoption
L’un des obstacles les plus saillants dans cette trajectoire est le coût des appareils compatibles 5G. Beaucoup de ménages ne peuvent pas accéder à ces modèles, même lorsque le réseau est disponible. Le rapport note que les prix élevés des smartphones et des forfaits de données constituent des freins majeurs à une adoption plus rapide.
En 2024, un forfait de données de 2 Go pour haut débit enregistrait un coût équivalant à 4,2 % du revenu mensuel moyen, ce qui dépasse le seuil d’« abordabilité » recommandé de 2 %. Bien que ce pourcentage ait diminué par rapport aux années antérieures, il reste un frein significatif pour de larges segments de la population.
L’autre dimension critique est celle de l’infrastructure et de la densité réseau. Pour qu’un réseau 5G soit utile, il faut une densification des stations de base (small cells), des liaisons dorsales (backhaul) fiables, des fibres optiques ou alternatives, une électricité stable, etc. Ces coûts d’infrastructure sont élevés, surtout dans les zones rurales ou moins densément peuplées. Le rapport souligne qu’en zone rurale, les installations de fibre peuvent être trop coûteuses, ce qui pousse à l’usage de solutions fixes sans fil ou de relais cellulaires.
Un autre défi est l’inégalité dans l’adoption : les régions urbaines, les segments aisés, les zones déjà connectées bénéficient en priorité des nouveaux réseaux. Les populations rurales, moins éduquées numériquement, ou disposant de revenus faibles, risquent d’être laissées pour compte. Ce phénomène creuse la fracture numérique à l’intérieur même des États. Le rapport souligne qu’en 2024 la couverture mobile (signal atteint) était estimée à 88,4 % de la population africaine, tandis que le haut débit mobile (connexion data) couvrait 86 %. Cela laisse encore 14 % sans accès mobile global.
Les opérateurs, les investissements et les scénarios prospectifs
Malgré les défis, les opérateurs africains multiplient les initiatives et les engagements. Le rapport indique que les dépenses en investissement (CAPEX) des opérateurs devraient totaliser 62 milliards USD d’ici 2030, avec une part significative dédiée à la 5G.
Certains cas déjà concrets montrent que les déploiements avancent : Vodacom a lancé ses premiers services 5G au Mozambique ; MTN a procédé à des déploiements en Bénin. Le rapport 5G in Africa: Realising the Potential (GSMA) estime qu’en 2030, la 5G pourrait ajouter 26 milliards USD à l’économie africaine via ses effets direct et induits. Selon GSMA, on pourrait atteindre plus de 340 millions d’abonnés 5G, représentant près d’un cinquième des abonnements mobiles en Afrique à cette échéance.
Pour que ces investissements soient rentables, les opérateurs devront stimuler l’adoption, non seulement déployer le réseau, mais convaincre les utilisateurs de migrer vers la 5G. Ils devront également développer des usages innovants (Internet des objets, villes intelligentes, santé connectée, agri-tech, e-éducation) pour justifier et rentabiliser les coûts additionnels. Le rapport GSMA souligne que l’adoption consommateur et entreprise sera critique pour la viabilité de cette transition.
Enfin, un cadre politique et réglementaire favorable est indispensable. Les gouvernements devront garantir des conditions pro-investissement, réduire les contraintes fiscales et de droits de licence, encourager le partage d’infrastructure, éviter les barrières concurrentielles. Sans cela, la 5G pourrait rester réservée aux marchés les plus rentables, au bénéfice d’une élite numérique.
Perspectives et trajectoires possibles
Si les défis sont bien adressés, baisse des coûts, subvention de terminaux, densification, innovation d’usage, politique inclusive, la projection de 17 % de part de la 5G en 2030 semble plausible dans de nombreux contextes africains. Dans ce scénario, la 5G deviendrait un catalyseur de croissance numérique : services à large bande, villes intelligentes, industrie 4.0, connectivité pour l’agriculture de précision, télémédecine, éducation à distance de haute qualité.
Cependant, dans les pays moins bien dotés ou à ressources limitées, la 5G pourrait rester un luxe ou un service premium longtemps, tant que les obstacles structurels ne sont pas résolus. Le scénario le plus prudent pour eux serait une cohabitation prolongée de la 4G et de la 5G, avec la 5G initialement focalisée sur les centres urbains et les grands équipements (entreprises, campus, hubs technologiques).
L’essor de la 5G pourrait renforcer l’avantage comparatif numérique de certains pays africains, attirer des investissements étrangers, stimuler l’écosystème des startups technologiques, créer des emplois de qualité, et améliorer la compétitivité régionale. Mais cela exige une vision cohérente, une coordination public-privé et une approche inclusive.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que l’accès à des réseaux mobiles de génération avancée n’est plus une simple question technologique : c’est un facteur structurant de développement économique, d’innovation, de productivité, de résilience aux chocs. Un continent qui ne gagne pas la transition vers la 5G risque d’accuser davantage son retard dans l’économie numérique mondiale.
Parce que la fracture numérique se creuse non seulement entre l’Afrique et le reste du monde, mais au sein même des pays africains : les zones urbaines, les populations aisées et connectées risquent de bénéficier des gains technologiques tandis que les zones rurales et les populations marginalisées peuvent rester en marge, aggravant les inégalités.
Parce que l’Afrique dispose d’atouts encourageants, jeunesse numérique, innovation locale, opérateurs africains engagés, fournisseurs (Huawei, ZTE) actifs, mais ces forces doivent être canalisées par des politiques avisées pour transformer le potentiel en impact. Le rapport State of Broadband in Africa 2025 rappelle aussi l’importance des points d’échange Internet (IXP) : 33 pays africains disposent désormais d’un ou plusieurs IXP, ce qui aide à réduire le coût de transit international, améliorer la latence et la qualité du trafic local.
Enfin, pour l’Afrique de l’Ouest, une adoption plus rapide et généralisée de la 5G pourrait renforcer l’intégration régionale, améliorer les services transfrontaliers numériques, stimuler le e-commerce, les fintechs, les plateformes de services, l’agro-tech connectée, etc. Les pays ouest-africains qui sauront conjuguer infrastructures, régulation, subventions ciblées et innovation auront une longueur d’avance dans la course à la transformation numérique.