Côte d’Ivoire : la 13ᵉ CGECI Academy relance la souveraineté économique, des ambitions fortes pour transformer l’Afrique francophone

Un consensus émerge sur la nécessité de l’intégration continentale (Crédit image : CGECI)


Les points clés :

  • La 13ᵉ CGECI Academy à Abidjan réunit les acteurs clés pour traduire la souveraineté économique en actions concrètes.

  • Le secteur privé ivoirien fédère près de 4 000 entreprises représentant 22 000 milliards FCFA de chiffre d’affaires.

  • La BAD, l’OIF et l’AFC mettent en avant le financement local, la transformation des ressources et l’intégration continentale comme piliers du développement.


Abidjan s’est transformée en capitale du débat économique africain les 29 et 30 septembre 2025, avec l’ouverture de la 13ᵉ édition de la CGECI Academy sur le thème « Souveraineté économique : le temps de l’action ». L’enjeu dépasse largement les frontières ivoiriennes : c’est tout un imaginaire de l’autonomie, de la relance de l’initiative africaine et de la redéfinition de la place du continent dans la mondialisation qui se joue. Rassemblant dirigeants, acteurs publiques, bailleurs de fonds, experts, et leaders du secteur privé, cette édition ambitionne de passer de la rhétorique aux réalisations.

Dans un contexte où le débat sur la dépendance aux matières premières, les flux de capitaux, le contrôle des politiques économiques et la capacité de transformation nationale est plus que jamais d’actualité, la CGECI Academy se positionne comme une plateforme de transition : de la vision à la mise en œuvre. Cet article propose de décrypter les discours, les engagements, les contradictions et les perspectives émergentes, en mettant en lumière ce que ce forum nous dit de l’économie ouest-africaine à l’heure du renouvellement.

Vue d’ensemble de la CGECI Academy et des acteurs mobilisés

La Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), hôte de l’événement, revendique le regroupement de près de 4 000 entreprises cumulant un chiffre d’affaires de 22 000 milliards de FCFA. L’édition 2025, articulée autour du thème « Souveraineté économique : le temps de l’action », vise à créer un espace de dialogue entre l’État et le secteur privé pour transformer les discours en projets tangibles. La cérémonie inaugurale, présidée par le Premier ministre Robert Beugré Mambé, a attiré des personnalités de haut rang : Louise Mushikiwabo (OIF), Sidi Ould Tah (BAD), Karim Zidane (investissement marocain), ainsi que des représentants du patronat sénégalais (CNP), camerounais (GICAM) et marocain (CGEM).

Ahmed Cissé, président de la CGECI, a insisté sur un point fondamental : la souveraineté économique ne peut rester un concept, elle doit s’incarner dans la capacité des États à mener leurs propres choix de développement. Le ministre ivoirien du Commerce et de l’Industrie, Souleymane Diarrassouba, a rappelé que plus de 70 % des matières premières africaines quittent le continent sans avoir été transformées, et que les dépenses de R&D en Afrique oscillent autour de 0,5 % du PIB, contre une moyenne mondiale de 2,2 %. Louise Mushikiwabo, de l’OIF, a élargi l’ambition : l’économie francophone à elle seule représente 16,5 % du PIB mondial selon ses propos, et la jeunesse dans cet espace peut être un levier ou un risque selon l’orientation politique.

Les panels techniques ont approfondi les leviers d’action : Karim Zidane a souligné que la souveraineté ne se décrète pas sans intégration régionale et soutien à l’initiative privée. Le concept d’intégration continentale est mis en exergue comme condition de viabilité des économies nationales. Paulo Gomez a cité la création de l’Africa Finance Corporation (AFC), dotée d’un capital mobilisé en partie par les réserves de la Banque centrale du Nigeria (500 millions de dollars évoqués), comme exemple concret de dispositif panafricain de souveraineté économique. Le ministre ivoirien des Finances, Adama Coulibaly, a rappelé que l’exercice de la souveraineté commande simultanément stabilité macroéconomique, réformes structurelles et ouverture aux investissements étrangers.

Du côté de la Banque africaine de développement (BAD), le tout nouveau président Sidi Ould Tah a posé les priorités de sa vision : mobiliser les financements avec effet de levier, réformer l’architecture financière africaine, faire de la démographie un atout par la formalisation de l’économie informelle, et bâtir des infrastructures résilientes. Pour la première fois à cette tribune, il a promis la création d’une « coalition du secteur privé africain » afin de renforcer les synergies intra-continentales. Le Premier ministre Mambé, lui, a confirmé l’engagement de la Côte d’Ivoire à produire ce qu’elle consomme, à valoriser ses matières premières localement et à bâtir des « champions nationaux » soutenus selon leur taille ou secteur.

Parallèlement, l’édition 2025 a mis en lumière un volet social : le lancement officiel du « Réseau des Femmes du secteur privé » de la CGECI, sous le patronage de la Première Dame, a mis l’accent sur l’égalité, la formation, la visibilité des femmes et le plafond de verre. Ce réseau est soutenu par des dispositifs comme le Fonds d’Appui aux Femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI), qui est passé de 1 à 21 milliards FCFA en une décennie, finançant plus de 420 000 projets avec un taux de remboursement de 98 %.

Souveraineté économique : un mot puissant, des chemins variés

Le mot « souveraineté » tel qu’invoqué à la CGECI Academy porte des ambitions fortes : autonomie monétaire, maîtrise des politiques industrielles, transformation locale, contrôle des ressources naturelles. Mais la traduction en politiques est complexe. L’équilibre entre ouverture aux investissements étrangers et contrôle national, entre intégration régionale et protection sectorielle, entre marché domestique et compétitivité internationale se dessine comme une ligne de crête cruciale.

Dans les interventions, un consensus émerge sur la nécessité de l’intégration continentale : aucun pays ne gagnera seul. Mais la mise en œuvre de cette intégration nécessite des infrastructures transfrontalières robustes, une harmonisation des régulations, des normes et des mécanismes financiers. Faute de cela, les efforts nationaux resteront circonscrits.

Mobilisation du capital local : l’enjeu central du financement

Un thème récurrent à Abidjan est la mobilisation du capital africain pour financer les transformations structurales. L’Africa Finance Corporation (AFC) joue un rôle central dans cette vision. Le rapport State of Africa’s Infrastructure 2025 de l’AFC estime que l’Afrique recèle plus de 4 000 milliards de dollars d’épargne locale (banques, institutions, réserves) susceptibles d’être orientés vers des investissements productifs. Cependant, ces capitaux restent souvent cantonnés à des actifs liquides ou à court terme : peu de montants vont actuellement vers les infrastructures risquées mais à haut rendement. L’AFC plaide pour des réformes de régulation, l’usage d’instruments de mutualisation des risques (fonds de dette, plateformes d’investissement), et des cadres incitatifs pour orienter ces capitaux vers le développement réel.

La référence faite à une injection de 500 millions de dollars issues des réserves de la Banque centrale du Nigeria pour l’AFC renforce l’idée que les États eux-mêmes doivent assumer des rôles d’architectes institutionnels pour catalyser les investissements privés. L’AFC, en tant qu’institution paneuropéenne et africaine, se positionne comme un pont entre financement public et privé, apport technique, structuration de projets et gestion des risques.

Contradictions latentes : ressources, industrie et capacités nationales

Plusieurs paradoxes émergent. L’Afrique dispose de ressources naturelles abondantes, mais la majeure partie quitte le continent à l’état brut, sans transformation locale ni création de valeur. Le ministre ivoirien du Commerce l’a rappelé : plus de 70 % des ressources africaines sont exportées sans transformation. Dans le même temps, les investissements en recherche et développement (R&D) plafonnent à 0,5 % du PIB, loin derrière les standards mondiaux (≈ 2,2 %). Cette insuffisance de capacité technologique et scientifique fragilise l’industrie locale, la compétitivité internationale, et limite la montée en gamme des économies.

La multiplication des crises mondiales, géopolitiques, sanitaires, disruptions des chaînes logistiques, a amplifié la dépendance extérieure des économies africaines. Le thème choisi pour la CGECI, « le temps de l’action », vise à faire basculer les intentions en réalisations. Mais l’ampleur des transformations nécessaires exige des investissements lourds, des structures de gouvernance solides, la formation de compétences, et un alignement étroit entre États, entreprises privées et institutions financières.

Le rôle du secteur privé : catalyseur et moteur

Les interventions de la SFI (via Ethiopis Tafara) ont souligné le rôle central du secteur privé dans la création d’emplois, l’agriculture, l’industrialisation et les services. Alors que l’Afrique détient environ 65 % des terres arables non exploitées, elle continue d’importer jusqu’à 80 % de ses besoins alimentaires selon ses propos. Le paradoxe est criant : un continent capable de nourrir le monde est contraint d’importer massivement. Cela met en exergue le déficit de structuration de la chaîne agricole, de technologies adaptées, d’infrastructures logistiques, et d’accès au financement.

L’ambition de bâtir des « champions nationaux » (entreprises locales leaders dans leurs secteurs) s’inscrit dans cette dynamique, mais leur émergence dépend fortement de la disponibilité de capitaux, de protections réglementaires mesurées, de marchés régionaux accessibles, et d’un climat d’affaires stable.

L’effet d’entraînement ouest-africain

L’édition abidjanaise de la CGECI Academy résonne bien au-delà de la Côte d’Ivoire. Les enjeux soulevés (souveraineté, capitaux locaux, transformation, intégration) sont partagés par de nombreux États de la région. Par exemple, des projets d’industrialisation, de ferroviaires transfrontalières, de corridors routiers, de hubs logistiques, ou de zones de transformation locale figurent déjà dans les agendas nationaux. Cependant, leur réussite dépendrait directement de la mobilisation de capitaux internes, de la crédibilité institutionnelle et de la coopération régionale.

Les pays membres de l’UEMOA, CEDEAO ou de la Zone de libre-échange continentale (ZLECAF) sont appelés à harmoniser leurs politiques, à mutualiser les mécanismes de financement, et à créer des plateformes régionales de capital risque et de fonds d’investissement pour appuyer les transformations structurantes.

Expériences nationales contrastées

Certains pays de la sous-région ont déjà amorcé des réformes ou lancé des projets d’infrastructure ambitieux : le Bénin avec ses corridors routiers, le Ghana avec ses zones économiques spéciales, le Sénégal avec ses ports et zones industrielles, le Burkina Faso ayant lutté pour améliorer la transformation agroalimentaire. Ces pays pourraient tirer profit des retours d’expérience de la Côte d’Ivoire, qui cherche à conjuguer industrialisation, attractivité et souveraineté.

Dans tous les cas, la clé réside dans la capacité des États à structurer des partenariats public-privé viables, à créer des instruments financiers adaptés (guarantee funds, fonds d’amorçage, plateformes de titrisation), et à offrir des conditions stables (réglementation, fiscalité prévisible, sécurité juridique). Les initiatives comme l’AFC offrent un modèle de catalyseur panafricain que les États pourraient soutenir ou répliquer à échelle régionale.

Risques et écueils à surveiller

Les principaux pièges sont largement anticipés : surcoûts, corruption, retards, dépendance excessive aux bailleurs externes, fragilité institutionnelle, faible capacité de maintien des infrastructures, fuite des cerveaux, marchés saturés ou peu compétitifs. Si les capitaux locaux ne sont pas canalisés vers les projets productifs, ils risquent de rester dans des instruments financiers peu utiles à la croissance.

L’horizon temporel est aussi un défi : les résultats des investissements structurants peuvent mettre des années à émerger, ce qui nécessite de la patience politique et une vision stratégique à long terme.

Pourquoi est-ce important ?

Le déroulé de la 13ᵉ CGECI Academy dépasse le simple séminaire : il cristallise les tensions et les espoirs d’une Afrique francophone qui ne veut plus seulement être spectatrice de sa propre destinée. Le forum réaffirme que la souveraineté économique n’est pas une injonction populiste, mais une nécessité structurelle pour construire des États capables de décider, produire et transformer dans un environnement mondialisé.

Pour l’Afrique de l’Ouest, cette dynamique représente un tournant potentiel. Si les États parviennent à mobiliser leur épargne domestique, à renforcer les synergies régionales et à développer des champions nationaux, ils pourront sortir d’un modèle de dépendance et entrer dans une ère de croissance endogène. La capacité à maîtriser les leviers financiers, industriels et technologiques déterminera la position du continent dans les décennies à venir.

En Côte d’Ivoire, la CGECI Academy 2025 marque une étape. Si les promesses deviennent projets, si les discours se convertissent en investissements effectifs, le pays pourrait devenir une plaque tournante de l’économie fracturée de l’Afrique francophone. Mais l’enjeu n’est pas isolé : chaque pays devra jouer sa partie, dans un concert régional où l’émulation, la coopération et la rigueur devront prévaloir sur la compétition isolée.

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