Jusqu’à 50 000 € : le pilotage vert de la CEDEAO pour réveiller les chaînes agricoles grâce aux énergies renouvelables
L’enjeu est double (Crédit image : Greenbox)
Les points clés :
La CEDEAO et l’AECID lancent un programme pilote (RPCE) pour cofinancer des projets d’énergie propre jusqu’à 50 000 € dans les chaînes agricoles du Bénin, Nigeria et Sénégal.
Les technologies visées incluent le stockage solaire frigorifique, les systèmes d’irrigation solaire, les briquettes de biochar et le biogaz.
Cette initiative s’inscrit dans la stratégie régionale de transition énergétique et d’efficacité, mais doit faire face à des défis institutionnels et financiers structurels.
Dans un contexte mondial de transition vers des modèles plus durables et résilients, l’Afrique de l’Ouest cherche à jouer un rôle pionnier dans l’articulation entre la production agricole et l’énergie verte. C’est dans ce cadre que le Centre pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique de la CEDEAO (CEREEC), appuyé par l’AECID (agence de coopération espagnole), a ouvert un appel à propositions pour le Projet pilote régional sur l’économie circulaire (RPCE). L’enveloppe promise : des subventions pouvant atteindre 50 000 € par projet, destinées à des initiatives convergeant vers des solutions énergétiques propres dans les chaînes de valeur agricoles au Bénin, au Nigeria et au Sénégal.
L’ambition est de promouvoir des technologies comme le stockage solaire frigorifique, des systèmes d’irrigation solaire, la production de briquettes de biochar ou des solutions de biogaz pour le traitement des résidus agricoles. L’enjeu est double : réduire la précarité énergétique dans les zones rurales et accroître la valeur ajoutée locale sur les filières agricoles. Mais l’opération n’est pas sans obstacles : capacité institutionnelle, flux de financement, viabilité technique et risque de dispersion des projets.
Le dispositif RPCE : objectifs, cibles et modalités
Le mécanisme du RPCE est simple dans son intention mais ambitieux dans sa portée. Il invite les porteurs de projets et les acteurs engagés dans les filières agricoles à déposer des dossiers avant le 8 octobre 2025 à 23h59 (heure du Cap-Vert). Les projets financés devront proposer des solutions innovantes en énergies renouvelables ou en efficacité énergétique appliquées à la production agricole (manioc, tomates, riz, arachides…). Le plafond d’aide est fixé à 50 000 € par projet.
Les technologies prioritaires incluent notamment :
le stockage frigorifique solaire, essentiel pour préserver les produits périssables dans les zones rurales sans accès électrique fiable ;
les briquettes de biochar, permettant de valoriser les déchets agricoles et de produire des combustibles ou amendements organiques ;
les systèmes d’irrigation solaire, afin de désenchaîner les cultures de la seule saison des pluies ;
le biogaz et les installations de traitement propre pour résidus agricoles ou déchets (digestats, biomasse).
L’appel implique une sélection des propositions sur la base de critères de viabilité technique, de durabilité financière, d’impact potentiel et de reproductibilité. Il s’insère dans le portefeuille d’activités du CEREEC, institution de la CEDEAO chargée de piloter les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique dans la région.
Ce dispositif marque une évolution intéressante dans l’approche énergétique régionale : ne plus seulement financer des centrales, mais soutenir des initiatives à petite et moyenne échelle, au plus près des besoins locaux et agricoles.
L’agenda énergétique de la CEDEAO et le rôle du CEREEC
Le projet RPCE s’inscrit dans une dynamique plus large. Le CEREEC est l’acteur de la CEDEAO pour promouvoir les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, dans le cadre de la Vision 2050 de la CEDEAO et des objectifs de transition durable. Il intervient dans le développement de marchés régionaux, la facilitation de normes, l’appui technique et la structuration des projets.
Par exemple, la CEDEAO promeut un marché d’électricité régional climat-compatible, en favorisant la coopération entre États membres pour la production transfrontalière d’énergie renouvelable. Le CEREEC, l’EEEOA (Système d’échanges d’énergie de l’Afrique de l’Ouest) et l’ARREC (Autorité de régulation régionale) sont parties prenantes de cette ambition.
Cependant, des analyses récentes témoignent de la difficulté à mobiliser les financements suffisants dans la région. Selon Agence Ecofin, 62 % des investissements actuels dans les énergies renouvelables de la CEDEAO vont au solaire photovoltaïque, loin devant l’éolien ou l’hydro petite échelle, révélant une concentration de financements et une faible diversification.
Des contraintes institutionnelles et réglementaires
Un des défis récurrents en Afrique de l’Ouest est la faible capacité des institutions à porter des programmes techniques complexes. Le rapport institutionnel du CEREEC révèle que l’organisation est encore légère en effectifs et ressources, avec des mandats multiples à coordonner.
Dans le passé, le CEREEC a déjà joué un rôle dans l’élaboration de normes et d’étiquetage énergétique dans l’espace CEDEAO (projet de normalisation et d’étiquetage des appareils électriques). Ce travail reste en cours, avec des capacités variables selon les pays membres. La mise en œuvre du RPCE devra s’articuler avec ces processus de normalisation pour assurer la compatibilité, la conformité et la durabilité des équipements subventionnés.
L’AECID, partenaire espagnol, intervient en coopération avec la CEDEAO dans plusieurs secteurs, dont l’agriculture et l’énergie. Cet appel RPCE s’inscrit dans cette coopération. Le soutien technique de l’AECID au CEREEC est déjà documenté dans d’autres initiatives de cuisson propre ou de diffusion de technologies d’énergie renouvelable au Nigeria.
Différences nationales et capacité de portage
Les trois pays ciblés (Bénin, Nigeria, Sénégal) ne sont pas à égalité en matière de maturité énergétique. Le Nigeria, par exemple, a déjà mené des consultations nationales pour le déploiement de technologies renouvelables productives dans le cadre de projets CEREEC/AECID. Le Sénégal dispose d’un cadre réglementaire énergétique établi et d’une expérience notable dans le développement solaire (la centrale solaire de Malicounda de 22 MW en est un exemple). Le Bénin, quant à lui, est dans une phase plus embryonnaire en matière d’efficacité énergétique et de normalisation des équipements, selon les études régionales.
Cette disparité impose que le mécanisme RPCE soit suffisamment flexible pour s’adapter aux contraintes nationales : coûts d’équipement importés, logistique rurale, formation locale, entretien long terme.
Forces, risques et conditions de réussite
Le pilotage du RPCE peut offrir une combinaison puissante : proximité avec les acteurs locaux, effet multiplié d’innovations à petite échelle, incitation à la transformation durable des filières agricoles. Le choix de technologies ciblées dans des chaînes de valeur agricoles permet de concentrer l’impact : réduction des pertes post-récolte (frigorifiques solaires), autonomie hydrique (irrigation solaire), valorisation de déchets (briquettes, biogaz).
Pourtant, plusieurs risques pèsent. La subvention de 50 000 € pourrait être trop faible pour des installations robustes à long terme, surtout dans un contexte où les coûts d’importation d’équipements solaires ou de biogaz restent élevés. Le défi de l’entretien et de la durabilité des installations en milieu rural est bien réel. Le projet pourrait se cantonner à des démonstrateurs peu reproductibles.
Le cofinancement exigé, l’appui technique, la supervision rigoureuse, le suivi-évaluation, l’intégration dans des chaînes de marché déjà existantes, l’accès au crédit pour les bénéficiaires, la mobilisation de partenaires privés, tout cela conditionne le succès. Enfin, l’harmonisation normative est cruciale : les équipements subventionnés doivent respecter des standards régionaux pour leur maintenance, leur interopérabilité et leur financement.
L’effet d’apprentissage et de levier est un atout. Si quelques projets pilotes réussissent, cela peut générer des banques de données, des références bancables, des effets d’entrainement auprès des investisseurs publics et privés. Le programme peut ainsi jouer le rôle de catalyseur.
Pourquoi est-ce important ?
Le lancement du projet RPCE représente une petite révolution dans la manière d’aborder la transition énergétique ouest-africaine. Plutôt que de viser des mégaprojets coûteux et souvent centralisés, l’initiative mise sur la diffusion locale de technologies adaptées aux réalités rurales. Cela correspond à une logique de décentralisation énergétique, de résilience locale et de création de valeur au cœur des territoires agricoles.
Dans une région où l’accès à l’électricité reste faible dans les zones rurales, où les pertes post-récolte sont élevées, où les dépendances aux combustibles fossiles importés pèsent lourd, ce type de programme peut amorcer des effets multiplicateurs. Si quelques projets réussissent, cela peut inciter à renforcer la confiance des bailleurs, à structurer des chaînes de production de composants solaires, à former une main-d’œuvre locale spécialisée. Dans la perspective de l’intégration régionale de l’énergie (marché commun, échanges transfrontaliers), ces projets serviront de nœuds territoriaux d’innovation.
Pour les pays comme le Nigeria, le Sénégal ou le Bénin, le RPCE offre une opportunité de dynamiser simultanément les secteurs agricole et énergétique. Il permet de traduire les ambitions nationales de transition en projets concrets, au plus près des acteurs locaux. Mais l’enjeu est plus large : si la CEDEAO parvient à institutionnaliser ce type de mécanisme de subvention pilote, cela peut jeter les bases d’un véritable instrument régional de financement des transitions durables.
La réussite du RPCE pourrait inspirer des déclinaisons dans d’autres pays membres de la CEDEAO, ou des montants plus importants à l’avenir, voire une fusion des efforts de financement régional (fonds énergie, véhicules de garantie). En creux, cette stratégie tranche avec les modèles uniquement axés sur les grandes centrales : elle place l’action énergétique dans les mains des communautés, des agriculteurs, des PME locales.