La Guinée se grippe : flambée du ciment paralyse le BTP, menaces sur la relance économique
Le BTP en pleine mutation, des prix flambent à Conakry (Crédit image : LinkedIn Guinea)
Les points clés :
Le prix du ciment oscille entre 75 000 et 95 000 GNF, freinant la reprise des chantiers à Conakry.
La pénurie est alimentée par l’arrêt partiel de deux cimenteries à cause du manque de clinker.
Cette crise renforce la vulnérabilité du secteur face au contexte économique instable de la Guinée.
Depuis plusieurs mois, les professionnels de Conakry font face à une forte inflation du ciment. Désormais, le sac se négocie souvent à 85 000–95 000 GNF au lieu de 75 000–80 000 GNF. Pour les commerçants comme Ismaël Barry, cette instabilité planétaire est devenue la norme : « Cela fait deux mois… je l’ai eu avant-hier seulement », témoigne-t-il.
Professions du bâtiment et particuliers accusent le coup : Ibrahim Barry indique que « ça déséquilibre mon budget », et Maître Diallo confirme que les fabricants de briques ont dû suspendre leur production . Dans une économie où 45 % de la construction est informelle, l’effet est immédiatement ressenti.
Des causes structurelles
Un premier coupable évident se cache dans l’aval de la chaîne : deux usines cimentières sur les sept du pays ont cessé temporairement leur activité en raison d’une pénurie de clinker, matière première cruciale . La capacité nominale guinéenne est estimée à 3,6 millions de tonnes par an, contre 2,2 Mt en 2021, soit une augmentation de près de 60 %, mais cette croissance peine à compenser le déficit de clinker.
Les prix élevés du carburant et les coûts logistiques alourdissent également le transport du ciment. En Guinée, le moindre manque d’éthanol ou carburant se répercute immédiatement sans filet de substitution (pas de raffinerie nationalisée). De plus, la spéculation n’est pas à exclure, malgré l’absence de données pointées sur les cartels du ciment .
L’impact économique et social
Le bâtiment est un pilier pour l’emploi, les infrastructures et l’urbanisation de Conakry. Le ralentissement des chantiers menace la création d’emplois, empêche les projets de logements ou d’équipements publics et augmente le coût des constructions informelles. Dans un contexte guinéen déjà fragilisé par l’explosion de 2023 du dépôt pétrolier et l’inflation estimée à 10–15 % à Conakry , cette crise aggrave la précarité des ménages.
Les migrants urbains et les populations à faibles revenus, qui consacre 50 % de leurs revenus au logement, sont particulièrement pénalisés. L’absence d’un mécanisme de stabilisation, que ce soit via l’État ou les cimentiers, expose aussi à une perte de confiance dans les secteurs formels.
Contextualisation à l’échelle ouest-africaine
La Guinée n’est pas isolée : les pays de l'UEMOA puisent la moitié de leur ciment à l’import, exposant les marchés à des hausses similaires en cas de tension sur les matières premières ou le transport. La réaction régionale tandis que des pays comme le Mali ou la Côte d’Ivoire investissent dans des unités intégrées clinker-ciment, permettrait d’atténuer les chocs. En Guinée, la donnée récente concernant Simandou (projets majeurs d’infrastructure) démontre une volonté de structurer les chantiers autour de l’exploitation minière ; mais sans ciment stable, l’impact économique se dilue.
Pourquoi est-ce important ?
La flambée du ciment à Conakry incarne la fragilité des chaînes de valeur dans les économies africaines, particulièrement en Guinée, où les secteurs stratégiques – mine, agriculture, construction – sont interdépendants. Le bâtiment finit par révéler des faiblesses structurelles : manque de régulation, dépendance logistique, et carence en politiques industrielles. À l’heure où la Guinée lance Simandou 2040 et ambitionne de transformer son PIB minier, le pays doit impérativement renforcer ses capacités locales, relancer la production de clinker, encadrer les prix et moderniser ses infrastructures de transport. Les décisions prises aujourd’hui auront un effet en cascade : fondation pour le logement social, création d’emplois, stabilité des coûts, attractivité pour les investisseurs. Sans cela, chaque hausse de prix traduit un recul collectif dans la consolidation du développement ouest-africain.