Inclusion numérique en Afrique subsaharienne : 1 Go de données coûte toujours trop cher

Le rapport met en lumière une rupture réelle (Crédit image : Pouvoirs Magazine)


Les points clés :

  • 1 Go de données mobiles coûte en moyenne 2,4 % du revenu mensuel en Afrique subsaharienne, dépassant le seuil de 2 % fixé par l’UIT.

  • Chez les 40 % les plus pauvres, ce coût grimpe à 5 % du revenu mensuel, rendant l’accès à Internet prohibitif.

  • Le rapport Global Findex 2025 de la Banque mondiale souligne que seules 45 % des personnes au Sud du Sahara ont utilisé Internet récemment, contre 80 % dans d’autres régions.


L’Afrique subsaharienne demeure l’une des régions les plus défavorisées en matière de connectivité numérique. Le Global Findex Database 2025 révèle que le coût moyen d'un gigaoctet de données mobiles représente 2,4 % du revenu mensuel par habitant, un seuil supérieur au niveau d’abordabilité considéré idéal, celui fixé à 2 % par l’Union internationale des télécommunications (UIT). Malgré une baisse par rapport à 2022 où ce coût culminait à 3,5 %, le chemin vers l’accessibilité reste long.

L’enquête, basée sur près de 145 000 adultes dans 141 pays, indique que l’accès à Internet reste limité dans la région : seuls 45 % des adultes au Sud du Sahara ont utilisé Internet dans les trois mois précédant l’enquête, contre 80 % dans les régions Asie de l’Est & Pacifique ou Amérique latine & Caraïbes. Parmi les utilisateurs de smartphones, 55 % accèdent chaque jour à Internet, tandis que 20 % s’y connectent une fois par mois ou moins.

Le rapport met en lumière une rupture réelle : 74 % des adultes possèdent un téléphone mobile, mais seuls 68 % détiennent un smartphone. Le principal frein reste le coût : un appareil d’entrée de gamme équivaut à 73 % du revenu mensuel moyen des plus pauvres, ce qui limite fortement l’accès à la téléphonie intelligente.

Un constat supplémentaire concerne les téléphones basiques : dans 18 économies, ceux-ci dominent encore l’usage mobile, 17 étant situées en Afrique subsaharienne, le Bangladesh seule exception ailleurs. Ces appareils ne permettent pas l’accès à Internet et se limitent aux fonctions d’appel, SMS ou paiements via USSD.

En matière de sécurité numérique, les données sont également préoccupantes : près de la moitié des utilisateurs de mobile money n’ont pas de mot de passe sur leur téléphone, exposant leurs comptes à des vols ou fraudes via le partage du téléphone. De plus, 30 % des adultes ont reçu des messages frauduleux ou d’extorsion à travers des SMS ou appels suspects.

Des inégalités exacerbées et un frein pour l’inclusion

Le coût élevé des données pèse particulièrement sur les femmes. Un rapport récent de la Cherie Blair Foundation for Women montre que 45 % des entrepreneures dans les pays en développement ne disposent pas d’un accès régulier à Internet à cause du coût, limitant leur capacité à gérer des plateformes digitales, encaisser des paiements ou promouvoir leurs produits. Le fossé numérique entre hommes et femmes atteint 15 % en Afrique subsaharienne, selon GSMA.

Une corrélation claire se dessine entre coût, usage et inclusion : lorsque les données coûtent plus de 2 % du revenu mensuel, l’usage quotidien reste minoritaire, et l’accès à des services essentiels comme l’e‑commerce, l’éducation en ligne ou les paiements mobiles en pâtit.

Une dynamique fragile malgré des progrès

Des efforts importants pour réduire les coûts et renforcer l’infrastructure sont observés. Entre 2019 et 2021, le coût des services Internet en Afrique de l’Ouest et Centrale est passé de 11,5 % à 5,7 % du revenu par habitant, grâce à des projets comme le WARCIP en Mauritanie, avec un réseau de fibre optique étendu et une baisse spectaculaire des prix de gros.

Le déploiement des centres de données, notamment via l’investigation de Raxio Group, soutenue par un investissement de 100 millions USD de la Banque mondiale, vise à accroître la capacité de stockage locale, améliorer la vitesse et réduire les coûts liés à l’hébergement et aux transferts de données.

Cependant, les couvertures réseau restent disparates. En 2017, seuls 0 % du territoire togolais disposait de couverture 4G, contre plus de 50 % au Sénégal ou au Kenya. L’écart entre zones urbaines et rurales, ainsi qu’entre sexes, reste marqué : dans certains pays, les femmes rurales sont 32 % moins connectées que les hommes urbains.

Pourquoi est-ce important ?

L’accès au numérique est devenu un levier essentiel pour l’inclusion financière, l’éducation, la santé, le commerce et l’emploi. Le rapport Global Findex 2025 souligne que 58 % des adultes en Afrique subsaharienne ont désormais un compte financier, en grande partie activé via mobile money. Mais sans accès régulier à Internet, l’utilisation des services numériques reste superficielle.

L’économie numérique a montré sa valeur pendant la pandémie : la livraison de services sociaux, les transferts électroniques et les solutions de travail à distance ont limité les perturbations. Pourtant, sans des données abordables et un parc de smartphones accessible, ce potentiel reste inexploité.

À l’échelle régionale, seule une stratégie cohérente peut inverser cette tendance. Les États ouest-africains doivent accélérer l’investissement dans les infrastructures (fibre optique, tours 4G/5G), subventionner les appareils, et adopter un cadre réglementaire favorable à la concurrence tarifaire. L’alignement des normes avec celles de l’UIT, l’ouverture du marché aux opérateurs alternatifs et des politiques ciblées pour réduire les inégalités de genre et de revenu sont indispensables.

Sans ces réformes, l’Afrique subsaharienne risquerait de rester à la marge de l’économie numérique mondiale, privant millions de personnes de l’accès à des opportunités de développement, d’éducation et de financement.

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