Riz étuvé indien : vers une dépendance record de l’Afrique subsaharienne

Les pays ouest-africains planchent déjà sur des plans d’autosuffisance du riz local (Crédit image : L’économie du Cameroun)


Les points clés :

  • L’Afrique subsaharienne a déjà importé près de 5 millions de tonnes de riz étuvé indien depuis octobre 2024, soit +50 % en un an.

  • Cette région capte 70 % des exportations indiennes de riz étuvé, un record historique.

  • Le prix est tombé sous les 350 $ / tonne, contre plus de 500 $ l’année précédente, à la suite de la suppression des droits d’exportation.


L’Afrique subsaharienne, déjà grande consommatrice, vit une nouvelle ère dans son recours massif au riz étuvé indien. À mi-chemin de la campagne 2024‑2025, elle a absorbé près de 5 millions de tonnes, un volume dépassant largement celui de la saison 2020/2021, selon l’USDA. Cette accélération s’explique avant tout par la réforme de New Delhi : la levée des droits sur le riz étuvé à l’automne 2024, rendue possible par des récoltes exceptionnelles, a déclenché une chute des prix, passant de plus de 500 $/t à moins de 350 $/t.

L’Asie du Sud, submergée par une offre abondante et des stocks publics historiques (plus de 60 M t selon la FAO), a réintroduit massivement ses stocks sur les marchés internationaux. Les acheteurs africains, sensibles à la qualité et au prix, se ruent désormais vers le riz étuvé indien, plébiscité pour sa texture plus ferme et moins collante.

Malgré tout, l’USDA met en garde contre un ralentissement structurel en fin de campagne, du fait d’un excès d’offre régional, de coûts de fret élevés et de la raréfaction de conteneurs. Ce ralentissement ne modère pas, en revanche, la dépendance à l’égard de l’Inde : 70 % des exportations d’étuvé indiennes se destinaient à l’Afrique subsaharienne à la date du rapport.

Sur le plan géopolitique, la réinsertion de l’Inde dans le commerce mondial vise à soutenir les ambitions exportatrices agricoles tout en stabilisant les marchés. L’objectif du gouvernement indien est clair : atteindre 100 milliards USD d’exportations de produits agro-alimentaires d’ici 2030, une ambition affichée lors de la suppression des dernières restrictions. Mais cette stratégie, tout bénéfice pour le consommateur africain, exerce une pression sur les agriculteurs concurrents en Asie, menaçant les filières locales.

Cette situation met également en lumière la fragilité des filières africaines. Dans une région où la production locale peine à suivre la demande, l’inondation de riz à bas prix peut freiner toute initiative de substitution, qu’il s’agisse de riz local ou du développement de valeur ajoutée en aval de la chaîne.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que cette dépendance au riz étuvé indien constitue une épée à double tranchant. D’un côté, elle assure un accès alimentaire plus abordable, une bouffée d’oxygène pour les consommateurs. D’un autre, elle renforce la dépendance structurelle, fragilise les producteurs locaux et pénalise tout effort de construction de filière endogène.

À l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, la sécurité alimentaire commence par la souveraineté, celle de produire, transformer et stocker localement. Ce flux massif de riz importé représente un test pour les politiques agricoles : subvention, hausse de rendement, appui aux coopératives, développement d’une chaîne agro-industrielle autour du riz peuvent transformer cette dépendance en opportunité.

Les pays ouest-africains planchent déjà sur des plans d’autosuffisance du riz local, comme le Programme Riz local de la CEDEAO ou les investissements massifs au Mali, en Côte d’Ivoire, ou au Sénégal. Mais face à une concurrence indienne ultra-compétitive, il faut aujourd’hui passer à l’échelle, sécuriser les revenus des producteurs, et créer des corridors logistiques pour relier champs, silos et marchés.

Ce tournant appelle une réponse concertée : politiques agricoles cohérentes, intégration régionale pour sécuriser les intrants, coopération public-privé pour renforcer la transformation locale. C’est cette stratégie qui permettra à l’Afrique subsaharienne de reprendre la main sur sa chaîne alimentaire, de restaurer la valeur ajoutée locale et de garantir des achats alimentaires durables à ses populations.

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