Carburants russes toxiques en Afrique : Dangote tire la sonnette d’alarme

Les carburants concernés ressortent des listes sanctionnées par le G7 et l’UE (Crédit image : Ocean News)


Les points clés :

  • Aliko Dangote alerte sur l’arrivée massive de carburants russes à bas prix, dont la qualité reste incertaine et les risques environnementaux et sanitaires préoccupants.

  • L’Afrique importe près de 7 M° b/j de pétrole, mais ne raffine qu’un tiers localement, laissant le champ libre au dumping des carburants non conformes.

  • Plus de 2 M° barils de ces produits seraient stockés au port de Lomé avant leur distribution régionale, soulignant le manque de régulation.


Lors de la conférence « West African Refined Fuel Conference » à Abuja, le 22 juillet, l’homme d’affaires nigérian Aliko Dangote a tiré la sonnette d’alarme. Il a dénoncé l’entrée massive de carburants russes, vendus à prix cassés en Afrique, souvent en dehors de tout contrôle qualité. Ces produits ne respecteraient pas les normes européennes ou nord-américaines et pourraient menacer l’émergence du raffinage africain ainsi que la santé des populations. Ses propos s’inscrivent dans un contexte alarmant où la pollution de l’air coûte la vie à environ 3,7 millions de personnes chaque année selon l’OMS.

Le port de Lomé est cité comme un hub stratégique où seraient entreposés plus de 2 millions de barils de ces carburants contestés avant leur distribution à travers la sous-région. Dangote décrit ainsi une filière parallèle qui profite de cadres réglementaires faibles pour écouler du “dirty fuel” aux conséquences dangereuses.

Un marché vulnérable propice au dumping

L’Afrique produit environ 7 millions de barils par jour de pétrole brut, mais ne raffine localement que moins de 40 % de cette production. Ce déficit structurel crée une forte dépendance aux importations. Lorsque les normes locales sont laxistes, les traders exploitent cette faiblesse pour vendre des combustibles à très haute teneur en soufre et en toxiques.

L’enquête “Dirty Diesel” menée par l’ONG Public Eye en 2016 montrait que le carburant vendu dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest contenait jusqu’à 378 fois plus de soufre que la limite européenne (en Europe : 10 ppm, en Afrique parfois jusqu’à 3 000 ppm ou plus). Les échantillons prélevés révélaient aussi des concentrations inquiétantes de benzène et hydrocarbures aromatiques,  des composés cancérigènes.

Face à cette situation, cinq pays ouest-africains (Nigéria, Ghana, Togo, Bénin, Côte d’Ivoire) ont adopté de nouvelles normes abaissant la teneur maximale de soufre à 50 ppm, un progrès considérable initié par une campagne de sensibilisation d’ONG et des pressions publiques.

Le rôle stratégique de la Russie

En 2025, les exportations russes de diesel vers l’Afrique ont atteint environ 700 000 tonnes, malgré une baisse de 30 % par rapport au mois précédent. Les principaux acheteurs incluent le Togo, l’Égypte, la Tunisie et le Maroc. Plusieurs navires affichaient des destinations ambiguës (« for orders »), suggérant une distribution opportuniste en dehors des circuits régulés.

Les carburants concernés ressortent des listes sanctionnées par le G7 et l’UE, notamment les produits à haute teneur en soufre interdits sur leurs marchés. L’arrivée de ces volumes en Afrique expose un double risque : le coût pour la santé publique et la perte de compétitivité des raffineries africaines naissantes, comme celle de Dangote au Nigeria.

Les intérêts économiques croisés

Aliko Dangote dirige la plus grande raffinerie d’Afrique, opérationnelle depuis janvier 2024, avec une capacité prévue de 650 000 b/j. Afin d’atteindre son rythme de croisière, il recherche des contrats stables d’approvisionnement en brut, notamment auprès de la NNPC, ainsi que des financements considérables pour maintenir la cadence.

Cependant, la concurrence des carburants importés à bas coût, non conformes aux normes environnementales, fragilise la valorisation de son raffinage. Dangote réclame à la fois une meilleure régulation, mais aussi des mesures de protection du marché intérieur. Cette critique allie sensibilité sanitaire, défense de l’industrie locale et exigences économiques.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que ce phénomène dévoile une menace lourde pour les économies et la santé publique de l’Afrique de l’Ouest. Le dumping de carburants toxiques marginalise l’émergence des capacités de raffinage locales, détériore la qualité de l’air, accroît les coûts de santé et bride l’investissement dans le secteur énergétique régional.

Le modèle du raffinage intégré, comme celui de Dangote, promet emplois, richesse locale et souveraineté énergétique. Mais face à ce nouveau type de compétition, il pourrait se voir concurrencé par des produits à moindre coût et à qualité douteuse.

Ce scandale met en lumière l’urgence pour les États africains de renforcer leur cadre réglementaire : normaliser les standards de carburant, instituer des contrôles qualité systématiques, appliquer des droits de douane ou des taxes pour dissuader le carburant toxique, et créer des infrastructures logistiques transparentes.

À l’échelle ouest-africaine, Togo, mali, Ghana, Nigéria ou Côte d’Ivoire, la réponse collective est indispensable : l’harmonisation des normes, la coopération des ports et l’investissement dans les capacités de production nationale sont les piliers d’un avenir énergétique propre, souverain et durable.

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