UEMOA : crise institutionnelle en pleine session à Lomé

L’UEMOA est aujourd’hui confrontée au risque d’un retrait formel de l’AES (Crédit image : NetAfrique)

Les points clés :

  • Le Burkina Faso, le Mali et le Niger quittent brutalement le Conseil des ministres de l’UEMOA, dénonçant un non-respect de la présidence tournante.

  • Le poids économique de l’AES, représentant 20 % du PIB régional, expose la zone à des risques financiers et institutionnels.

  • Ce coup de théâtre pourrait fracturer l’intégrité de l’UEMOA et fragiliser le franc CFA, appelant à repenser les mécanismes d’intégration sous-régionale.

Ce 12 juillet 2025, alors que les ministres des Finances de l’UEMOA débattaient à Lomé, un événement sans précédent a bouleversé l’ordre régional : les représentants du Burkina Faso, du Mali et du Niger, membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), claquaient la porte de la deuxième session ordinaire du Conseil des ministres. Motif invoqué : le refus, jugé illégal, du principe de présidence tournante, qui devait revenir au Burkina Faso selon l’article 11 du traité de l’UEMOA. Une fuite significative, adressée à la Côte d’Ivoire actuellement présidente, qui laisse la situation en suspens jusqu’à la Conférence des chefs d'État.

Ce geste symbolique, loin d’être anecdotique, reflète une confrontation entre principes juridiques et logiques géopolitiques. Pour l’AES, il ne s’agit pas d’une simple revendication politique, mais d’un respect scrupuleux des textes fondateurs. Le départ des ministres est accusé comme un acte discriminatoire envers les pays sahéliens.

Un divorce institutionnel au cœur de l’intégration ?

Cette nouvelle fracture intervient sur fond de retrait récent de l’AES de la CEDEAO, acté le 29 janvier 2025, marquant une défiance grandissante envers les structures régionales traditionnelles. Désormais, cette défiance gagne l’UEMOA, provoquant une fissure dans la cohésion sous-régionale.

Jusque-là relativement épargnée, l’UEMOA est aujourd’hui confrontée au risque d’un retrait formel de l’AES, qui représenterait environ 20 % du PIB agrégé et 30 % de la superficie. La centralisation des réserves monétaires à la BCEAO, conditionnée à la discipline budgétaire, pourrait être menacée si les relations se tendent davantage.

Les retombées économiques : davantage qu’un bras de fer

Au-delà du symbolisme politique, les répercussions économiques sont profondes. L’UEMOA repose sur des mécanismes monétaires et financiers partagés, une monnaie commune, le franc CFA, et une convergence macroéconomique. En cas de retrait ou de blocage prolongé, plusieurs pans de la coopération régionale seraient fragilisés : approvisionnement en devises, financement des infrastructures, budgets de développement.

La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et la BCEAO jouent un rôle central dans le financement des projets régionaux. Une absence de certains États, en plein cycle d’investissements, pourrait ralentir les chaînes d’exécution budgétaire, entraînant délais et surcoûts.

Un glaive sur la stabilité monétaire

Le franc CFA, instrument fondamental de stabilité, repose sur la solidarité monétaire via la BCEAO. Si cette cohésion institutionnelle s’érode, la confiance des marchés financiers pourrait s’en ressentir. Les pays sahéliens accèdent à l’arbitrage externe en cas de besoin de devises, mais en cas de retrait, cette ligne de secours pourrait se fermer, exposant la zone à des tensions de trésorerie.

En outre, les émissions réussies de titres internationaux par le Bénin et la Côte d’Ivoire en 2025, respectivement 500 M USD et 1 286 M FCFA – témoignent de la confiance des investisseurs. Celle-ci pourrait s’inverser en cas de crise institutionnelle .

Une fenêtre à saisir pour repenser l’intégration régionale

Les scandales en cours posent une question cruciale : l’intégration ouest-africaine telle qu’envisagée dans les années 1990 reste-elle adaptée aux dynamiques géopolitiques actuelles ? Le divorce entre UEMOA, CEDEAO et AES reflète un écart entre les aspirations souverainistes sahéliennes et les structures héritées.

Des voix s’élèvent pour réformer les institutions régionales afin qu’elles reflètent les équilibres réels et intègrent les enjeux sécuritaires, climatiques, industriels et monétaires. Une intégration axée sur l’interdépendance pragmatique et la flexibilité.

Pourquoi est-ce important ?

La sortie de l’AES fragilise matériellement et symboliquement les fondements de l’UEMOA. Le risque est double : d’abord, la perte de cohésion met à mal la stabilité monétaire, essentielle pour lutter contre l’inflation et attirer des financements ; ensuite, la confiance des marchés internationaux pourrait se déliter, freinant les investissements dans les infrastructures clés.

Sur le plan régional, cet épisode révèle un besoin pressant d’adaptation des institutions ouest-africaines aux réalités stratégiques. Si les mécanismes actuels restent figés, les fractures politiques pourraient provoquer un éclatement des ensembles monétaires et commerciaux.

Le défi est donc clair : transformer cette crise en opportunité pour refonder l’UEMOA autour d’une vision inclusive, équilibrée et stratégiquement adaptée aux nouveaux rapports de force entre États. Pour l’heure, le succès de cette refondation dépendra de la capacité des Chefs d’État à dépasser les calculs politiques pour préserver l’intégration régionale la plus ancienne d’Afrique francophone.

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