Dette des entreprises publiques : le Sénégal en zone rouge malgré les effervescences pétrolières

Bassirou Diomaye Faye

Les points clés :

  • La dette des 27 principales entreprises publiques a bondi de 27,2 % en 2023 à 2 446 milliards FCFA.

  • Le chiffre d’affaires combiné de ces structures a chuté de 2,3 %, les pertes nettes passant d’un bénéfice de 44,5 à une perte de 19,2 milliards FCFA.

  • Malgré des profits d’exploitation en hausse, la dette structurelle et le bassin financier extérieur placent les entreprises publiques dans une situation fragile .

L'année 2023 marque un tournant critique dans la trajectoire financière des entreprises publiques sénégalaises. Le portail Sika Finance révèle que les 27 sociétés stratégiques ont vu leur dette financière s'envoler de 27,22 %, pour atteindre 2 446 milliards FCFA, soit près de 3,72 milliards dollars. Cette trajectoire semble révélatrice d’un modèle de développement heurté par un financement abyssal auquel les secteurs clés sont très exposés.

Le fer de lance de cette explosion d'endettement est PETROSEN, la société nationale des hydrocarbures, dont les créances atteignent un niveau vertigineux de 834 milliards FCFA. Elle représente à elle seule 34 % de l'endettement total. Derrière elle, SOGEPA, gestionnaire du patrimoine bâti, cumule 317 milliards FCFA soit 12 % du poids global, suivie par d’autres mastodontes comme la SAR, SONACOS et Sénégal Electricité (SENELEC), dont l’endettement pèse lourd renouvelé.

Un modèle à double détente : dette et reculs d’activité

Si les dettes explosent, les performances se dégradent. Le chiffre d’affaires cumulé chute de 2,26 %, passant de 2 349 à 2 298 milliards FCFA. La Société Africaine de Raffinage (SAR) est le principal tombeur, avec une baisse de revenus de 12,5 %, à 913 milliards FCFA. À l’autre extrême, SONACOS, ex-vedette du secteur agroalimentaire, voit son chiffre d’affaires s’effondrer de 83 %, à seulement 13 milliards FCFA.

Malgré une progression prudente des bénéfices d’exploitation, portés par l’énergie, le résultat net agrégé bascule dans le rouge. Les pertes s’élèvent à 19,2 milliards FCFA, contre un gain de 44,5 milliards l’an passé, un retournement spectaculaire de -143 %. Seule exception notable : la SONES (eau), qui a généré un dividende de 700 millions FCFA.

Investissements massifs à quel coût ?

Les dépenses immatérielles, dominées à 99 % par PETROSEN, sont en hausse de 36  %, soit plus de 828 milliards FCFA – des fonds destinés au forage, à l’exploration et à l’appui aux hydrocarbures. Une ambition stratégique qui peine à produire de la valeur ajoutée ou à alléger le poids financier des sociétés publiques.

Les capitaux propres ne croissent presque pas (+0,32 %), traduisant un déséquilibre structurel. Une telle situation met en lumière un modèle difficile à pérenniser, soumis à des chocs exogènes et à une compétitivité vacillante.

Enjeux et défis futures

La Banque mondiale signalait fin 2024 que la dette publique sénégalaise dépassait les 100 % du PIB, à laquelle s'ajoute une érosion rapide du tissu public suite aux révélations d’un héritage chiffré à 7 milliards $ selon le FMI. Cette spirale d'endettement coïncide avec un service de la dette qui exigera, entre 2025 et 2027, près de 13,65 milliards $ à rembourser, soit une pression considérable sur le budget de l’État.

Comparaison régionale et perspectives

Dans toute l’UEMOA, le Sénégal figure parmi les pays aux dettes corporatives les plus élevées. Tandis que d’autres nations comme la Côte d’Ivoire renforcent leur secteur parapublic tout en maintenant la performance, (p. ex. BNI accédant au Fonds vert, BIDC finançant des infrastructures), le Sénégal paraît affaibli, malgré ses succès sur les projets énergétiques comme le FPSO de Sangomar.

Pourquoi est-ce important ?

Ce plongeon financier révèle un paradoxe aigu : des entreprises publiques saturées de dettes, mais peu rentables, exposées à un risque de refinancement élevé, et dépendantes d’un endettement extérieur. Cette situation contraint l’État à mobiliser des ressources pour éponger une contre-performance structurelle, sacrifiant des investissements publics utiles.

Pour l’économie ouest-africaine, un tel cas illustre les défis de consolidation budgétaire, de restructuration des entreprises publiques et de rééquilibre des modèles économiques. Il souligne la nécessité de renforcer la gouvernance, de privatiser ou professionnaliser certains secteurs, tout en s’alignant sur les exigences des bailleurs comme le FMI.

À ce stade, le Sénégal est à la croisée des chemins : poursuivre une stratégie pétrolière ambitieuse à coût financier élevé, ou engager des réformes ciblées pour inscrire l’État dans une trajectoire durable. L’enjeu transcende les frontières nationales et interpelle toute la sous-région, car la résilience économique de l’UEMOA passe aussi par la santé de ses entreprises publiques.

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