Comment le FMI suggère de libérer le potentiel du Nigeria comme puissance économique africaine

Le Nigeria peut incarner la locomotive économique que l’Afrique espère (Crédit image : AfricaPresse)

Les points clés :

  • Le FMI propose trois priorités pour redresser l’économie nigériane : croissance inclusive, rigueur budgétaire et mobilisation des recettes domestiques.

  • La croissance de 3,4 % en 2024 reste insuffisante face à une inflation élevée (plus de 20 %) et une pauvreté touchant 42 % de la population.

  • Des réformes (subventions, change, budget) ont amélioré les réserves et la confiance, mais fragilisent les ménages.

Le Nigeria, géant démographique africain, traverse une phase critique où des réformes radicales, visant à stabiliser l’économie, ont provoqué des tensions importantes sur les plans social et macroéconomique. Dans un récent article daté du 7 juillet 2025, Axel Schimmelpfennig et Christian Ebeke du FMI détaillent une feuille de route en trois volets pour transformer cette période de turbulence en véritable croissance inclusive.

Une croissance plus forte et inclusive

Le FMI s'accorde sur le constat : malgré une croissance annuelle de 3,4 % en 2024 (et estimée à 3,2 % en 2026), le Nigeria stagne en termes de bien-être économique par habitant, avec un PIB réel par tête en recul (-0,7 % de 2014 à 2023) et 42 % de la population sous le seuil de pauvreté . L’institution prône donc une croissance accélérée et des transferts monétaires (cash transfers) étendus, condition sine qua non pour soulager la pauvreté, à condition de renforcer la production agricole pour contrôler la spirale inflationniste .

Un cadre budgétaire réaliste et transparent

Parallèlement, le FMI insiste sur la nécessité d’un budget réaliste, avec des hypothèses prudentes sur les hydrocarbures, une gestion stricte des dépenses et une transparence renforcée. Les réformes menées depuis 2023, fin du financement direct de la BCE, suppression des subventions aux carburants, libéralisation du taux de change, ont renforcé les réserves internationales et restauré la confiance des investisseurs . Toutefois, l’équilibre entre discipline budgétaire et investissements publics (infrastructures, énergie, éducation) reste délicat, nécessitant un pilotage précis.

Mobilisation d’un socle fiscal robuste

Le troisième axe concerné est la mobilisation des recettes nationales, une priorité absolue dans un contexte où les recettes fiscales sont inférieures à 10 % du PIB, l’un des niveaux les plus bas au monde . Le FMI recommande des réformes fiscales systématiques : simplification, lutte contre l’évasion, inclusion du secteur informel (qui pèse plus de 60 % de l’économie) . À terme, après stabilisation, une harmonisation des taux d’imposition avec les pays régionaux pourrait être envisagée.

Contexte et défis environnementaux

Le FMI rappelle que la phase difficile que traverse l'économie nigériane trouve ses racines dans des politiques passées peu durables : subventions coûteuses, financement monétaire des déficits et contrôles change limitant l’accès aux devises . Néanmoins, les changements opérés depuis 2023 commencent à porter leurs fruits : 3,4 % de croissance en 2024 et retour sur les marchés de capitaux fin 2024 . Les résultats restent partiels : inflation encore élevée (23–26 %), pauvreté grandissante, dépendance au pétrole (30 % des revenus), fragilité du secteur agricole et de l'offre d'infrastructures.

Dilemmes réformes–risques sociaux

Le FMI reconnaît que ces réformes peuvent provoquer des fractures sociales si elles sont mal calibrées. L’arrêt brutal des subventions aux carburants, par exemple, a déstabilisé les ménages en 2023–2024 – provoquant l’inflation et le mécontentement – et illustre l’importance d’un système de compensation robuste . Le lien transparence budgétaire/anticorruption est également mis en avant face à des intérêts enracinés, comme l’illustre l’opacité autour des subventions .

Comparaisons internationales

Le Nigeria n’est pas seul à manœuvrer entre rigueur et développement. L’Argentine et la Grèce ont montré les conséquences d’austérité non accompagnée (spirale déflationniste). En revanche, des modèles comme le Vietnam ou l’Éthiopie démontrent que des investissements publics volontaires, même créateurs de déséquilibres temporaires, peuvent établir des bases solides pour la croissance à long terme.

Pourquoi est-ce important ?

Cette feuille de route du FMI est un marqueur stratégique pour toute l’Afrique occidentale. Le Nigeria, puissance démographique et économique de plus de 233 millions d'habitants, concentre les défis structurels africains contemporains : inflation importée, dépendance au pétrole, faibles recettes fiscales, chômage massif et déficit d’infrastructures . Le succès de son redressement conditionnera la stabilité régionale, influencera la dynamique de la ZLECAf, et orientera les stratégies d'investissement international.

La cohérence de la stratégie, croissance inclusive, budget rigoureux, assise fiscale, représente une vision pragmatique mais ambitieuse. Son application, dans un contexte de pression sociale et de compétition mondiale (notamment en Chine), déterminera si le Nigeria peut incarner la locomotive économique que l’Afrique espère. Pour la région, c’est une question de modèle : miser sur des réformes draconiennes sans filet social ou allier discipline économique et protections pour bâtir une croissance résiliente ?

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