Energie - Mali : malgré les contraintes budgétaires, Bamako injecte 24 milliards pour étendre son réseau électrique
(Crédit image : Studio Tamani)
Points clés :
L’État malien mobilise des ressources internes inédites pour renforcer l’accès à l’électricité.
Un fonds financé par les recharges téléphoniques et le mobile money permet un décaissement de 24 milliards FCFA.
Le Mali veut réduire sa dépendance énergétique structurelle par des investissements ciblés, malgré les contraintes budgétaires.
Dans un climat économique africain où l’extraversion financière est souvent la norme, le Mali vient de tracer un chemin singulier. Le 16 juillet 2025, le gouvernement de transition a remis officiellement une enveloppe de 24 milliards de francs CFA au ministère de l’Énergie et de l’Eau pour faire face à la crise énergétique nationale. Ce décaissement s’est fait dans le cadre d’un mécanisme innovant : un Fonds de soutien aux infrastructures de base et au développement social, nouvellement créé par ordonnance en février 2025. Il est alimenté par une fiscalité intelligente sur les recharges téléphoniques et les transactions de mobile money.
Ce choix marque une volonté politique claire : construire une souveraineté énergétique à partir des capacités internes du pays, en s’appuyant sur la solidarité nationale au quotidien. Chaque communication téléphonique, chaque transfert d’argent depuis un téléphone portable devient une brique du développement. À la mi-juillet, plus de 34,7 milliards FCFA avaient déjà été collectés, selon les autorités.
Le défi électrique malien : entre stagnation et espoir
Depuis plus de deux décennies, l’accès à l’électricité reste l’un des grands talons d’Achille du développement au Mali. Alors que la demande en électricité est passée de 600 GWh en 2002 à 3 200 GWh en 2024, l’offre, elle, plafonne à 2 887 GWh, creusant un déficit chronique. Le pays vit au rythme des coupures fréquentes, pénalisant non seulement les foyers mais aussi les PME, les hôpitaux, les écoles et les infrastructures critiques. Les zones rurales restent largement non électrifiées, avec un taux d'accès à l’électricité estimé en dessous de 20 % dans certaines régions (source non disponible à l’heure actuelle).
Le financement des 24 milliards FCFA intervient dans la continuité du plan d’amélioration de la desserte électrique lancé pendant le Ramadan 2025, qui visait à contenir les pénuries et stabiliser la fourniture pour les ménages. Ce nouveau soutien financier va donc cibler plusieurs leviers essentiels : entretien des centrales thermiques, approvisionnement régulier en carburant, renforcement des équipements de production, et peut-être amorce de diversification énergétique.
Une rupture avec la logique d’endettement externe
Ce qui distingue cette opération des précédents programmes gouvernementaux, c’est le mode de financement. Contrairement aux projets portés exclusivement par des bailleurs extérieurs, comme la Banque mondiale, la BAD ou des coopérations bilatérales, ce programme repose sur un effort fiscal citoyen, certes modeste, mais stratégique. C’est là que réside l’innovation. Le prélèvement sur les transactions numériques devient un instrument fiscal adapté aux réalités locales, avec un effet immédiat sur le développement des services sociaux.
Il s’agit aussi d’un message symbolique fort. Dans un contexte de tensions géopolitiques régionales, où les ruptures diplomatiques et militaires avec certains partenaires occidentaux se multiplient, le Mali mise sur l’autonomisation financière pour répondre aux besoins fondamentaux de sa population.
Des impacts économiques attendus sur le tissu productif
L’accès fiable à l’électricité est un pilier essentiel de la compétitivité économique. Les PME industrielles, le commerce de détail, les établissements sanitaires ou encore les exploitations agricoles dépendantes des chaînes de froid ont besoin d’une fourniture stable et prévisible. Les coupures fréquentes, associées au coût élevé de l’énergie thermique d’appoint, plombent les marges, découragent l’investissement et ralentissent les perspectives d’industrialisation du pays.
Avec cette injection de fonds, le gouvernement malien espère relancer une dynamique économique inclusive, notamment dans les zones périurbaines et rurales, souvent les plus touchées par les délestages. Les jeunes entrepreneurs des filières agroalimentaires ou artisanales pourraient voir leurs charges diminuer, leur production se stabiliser, et leur accès au marché s’améliorer.
Une gouvernance qui se veut transparente et redistributive
Dans un pays où la défiance à l’égard de la gestion publique est encore vive, la réussite de cette opération dépendra aussi de la transparence dans l’allocation et le suivi des fonds. L’État malien affirme vouloir imposer des critères rigoureux de traçabilité des dépenses, à travers des audits publics et des rapports d’exécution.
Ce discours, relayé par les ministères de l’Économie et de l’Énergie, reflète un changement d’approche dans la gouvernance des projets publics : rationalisation des dépenses, mobilisation endogène, répartition équitable des efforts fiscaux. C’est également un moyen de restaurer la confiance entre l’État et les citoyens dans un contexte politique fragile, marqué par une transition institutionnelle complexe.
Pourquoi est-ce important ?
Ce virage énergétique n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une transformation silencieuse mais puissante du modèle économique malien et, au-delà, ouest-africain. Il pose les bases d’un financement innovant du développement, fondé sur des ressources internes, réduisant ainsi la dépendance à l’aide internationale et au cycle de l’endettement. En assumant un rôle moteur dans l’investissement dans les infrastructures de base, le Mali rejoint une dynamique régionale de réappropriation des politiques de développement, déjà observée au Sénégal avec la Stratégie Émergente 2035 ou en Côte d’Ivoire avec le Programme National de Développement (PND 2021-2025).
En agissant sur l’énergie, le pays renforce également la base de sa sécurité économique et sociale. L’électricité est le socle de la santé, de l’éducation, de l’innovation technologique, mais aussi de la cohésion territoriale. À l’échelle régionale, un Mali plus électrifié devient un partenaire plus fiable pour les échanges transfrontaliers, un acteur plus compétitif dans la ZLECAf, et un exemple de résilience économique endogène.
La réussite de cette expérience pourrait inspirer d’autres pays à adopter des formes de fiscalité numérique solidaire pour financer des secteurs vitaux. Le pari du Mali, c’est que chaque appel téléphonique contribue à allumer une école, chaque transfert de fonds serve à motoriser une clinique. Une vision pragmatique, sobre, mais fondamentalement ambitieuse.