Cyberspector, le bouclier numérique africain : Comment une startup béninoise redéfinit la cybersécurité sur le continent

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Points clés :

  • La cybercriminalité représente plus de 30 % des crimes signalés en Afrique de l’Ouest et de l’Est.

  • Cyberspector, fondée par un ingénieur béninois, propose une réponse adaptée aux PME africaines.

  • L’entreprise vise une croissance de 500 % en trois ans grâce à l’IA et à sa nouvelle plateforme Spectorly.

Alors que le monde se numérise à une vitesse fulgurante, l’Afrique peine encore à se doter d’un écosystème de cybersécurité robuste, malgré une hausse vertigineuse de la cybercriminalité sur le continent. Dans ce paysage complexe, une initiative béninoise fait figure d’exception. Fondée en 2018 par Ramanou Biaou, Cyberspector s’impose aujourd’hui comme un acteur clé de la résilience numérique en Afrique, en particulier auprès des petites et moyennes entreprises. Selon les informations relayées par Forbes Afrique, la société développe des solutions de cybersécurité accessibles, personnalisées et profondément enracinées dans les réalités africaines.

Un contexte continental alarmant

D’après le rapport d’Interpol publié en juin 2024 (source non consultable à cette date en raison de limitations techniques), plus de 30 % des crimes signalés en Afrique de l’Ouest et de l’Est sont liés à la cybercriminalité. Les attaques augmentent de façon exponentielle : certaines régions enregistrent une hausse de plus de 3 000 % des cyberattaques. Malgré cette tendance, l’Afrique reste l’un des continents les moins préparés à y faire face. Seulement 30 % des pays africains disposent d’un système national de notification des cybermenaces, 19 % d’une base de données dédiée à ces menaces, et 29 % d’un mécanisme de traitement des preuves numériques. En parallèle, les pertes économiques sont colossales. En 2024, Flutterwave, une fintech nigériane de renom, a déclaré avoir perdu 7 millions de dollars à la suite de cyberattaques.

L’impact humain est tout aussi criant. Le phishing (ou hameçonnage) reste l’un des vecteurs les plus courants des intrusions numériques. Selon les experts, 80 % des incidents de cybersécurité trouvent leur origine dans une erreur humaine ou une faille de sensibilisation. C’est précisément à ce niveau que Cyberspector se positionne, avec l’ambition de faire du facteur humain un bastion de sécurité, et non un point de vulnérabilité.

Le pari technologique de Ramanou Biaou

Ramanou Biaou n’est pas un novice dans le monde du numérique. Passé par l’ONU à Genève, puis par Orange France, la Banque Postale et le groupe BNP Paribas, il a décidé de mettre son expertise au service du continent. Son constat est sans appel : les solutions de cybersécurité occidentales sont souvent inadaptées aux réalités africaines, trop onéreuses, complexes ou pensées pour des environnements régulés et technologiquement avancés.

Avec Cyberspector, il propose donc une alternative sur mesure. L’entreprise offre des services accessibles dès 5 euros par mois et par utilisateur, incluant la protection des données, la sécurisation des endpoints, la formation du personnel et la veille permanente. La société compte aujourd’hui 16 collaborateurs permanents, une centaine de clients dont 65 % de PME, et s’appuie sur une équipe 100 % africaine. Elle se donne pour ambition de devenir un champion continental de la cybersécurité.

Spectorly : la riposte béninoise au cybercrime

Lancée en mai 2024, Spectorly est la nouvelle arme de Cyberspector. Cette plateforme SaaS (Software as a Service) intègre des fonctionnalités avancées de formation, de prévention et d’évaluation des risques cyber. Elle mise sur une approche ludique et pédagogique pour renforcer les réflexes de sécurité des employés. Des campagnes mensuelles de sensibilisation sont envoyées par email, SMS ou via Microsoft Teams, tandis que des simulations d’attaques (phishing, smishing) permettent de tester la vigilance des utilisateurs.

Spectorly délivre également des certificats numériques dotés de QR codes traçables, garantissant la formation continue des collaborateurs. L’objectif est d’instaurer une culture de la cybersécurité dans les organisations africaines, en misant sur la pédagogie et la répétition. L’approche semble fonctionner : selon les données internes de Cyberspector, 80 % des utilisateurs formés évitent efficacement les cyberattaques.

Une ambition régionale et internationale

L’entreprise béninoise ne compte pas s’arrêter là. Elle prévoit de lever un million de dollars pour élargir son équipe et renforcer son pôle de recherche et développement, notamment dans l’intelligence artificielle. L’IA sera utilisée pour automatiser les tâches de diagnostic, d’alerte et de prévention. L’objectif est clair : tripler le chiffre d’affaires en 2025, et réaliser une croissance de 500 % d’ici trois ans.

Le modèle de Cyberspector repose également sur l’expansion régionale. L’entreprise ambitionne de s’implanter en Afrique anglophone, après avoir consolidé sa présence en Afrique francophone. Elle cible notamment le Rwanda, souvent cité comme modèle d’accélération numérique en Afrique. Ce choix stratégique s’inscrit dans la volonté de participer activement à la transformation digitale du continent.

Un soutien politique béninois décisif

Le Code du numérique adopté par le Bénin, ainsi que le soutien aux startups technologiques, ont permis à Cyberspector de se développer dans un environnement réglementaire favorable. Le gouvernement béninois a multiplié les efforts pour structurer l’écosystème tech et faciliter l’émergence d’acteurs nationaux crédibles. Dans un contexte où peu de pays africains disposent encore d’un cadre légal solide pour encadrer les technologies numériques, cette volonté politique fait figure d’exception.

Cyberspector apparaît ainsi comme un produit de la volonté politique béninoise d’inscrire l’économie dans une trajectoire numérique inclusive et sécurisée. Ce soutien est d’autant plus crucial que la cybersécurité est aujourd’hui une exigence transversale, impactant aussi bien les finances publiques que le climat des affaires, les élections ou encore la protection des données personnelles.

Pourquoi est-ce important ?

La trajectoire de Cyberspector n’est pas qu’une success story entrepreneuriale : elle symbolise une prise de conscience nécessaire de l’Afrique face à un enjeu global. Dans une ère numérique où les frontières sont poreuses, la cybersécurité devient une condition sine qua non de souveraineté, de stabilité économique et de confiance dans les systèmes numériques.

L’approche de Cyberspector, centrée sur l’humain et adaptée aux réalités africaines, peut inspirer d’autres initiatives sur le continent. Elle montre qu’il est possible de bâtir des solutions endogènes, innovantes et performantes, sans dépendre systématiquement de l’expertise occidentale.

Plus largement, le cas de Cyberspector interpelle sur l’urgence d’une coordination régionale. La cybercriminalité n’a pas de frontières, et seules des politiques harmonisées au niveau de la CEDEAO ou de l’Union africaine permettront de structurer une réponse cohérente, partagée, et résiliente. À l’heure où les pertes économiques liées aux cyberattaques menacent la stabilité des entreprises et des États, la cybersécurité devient un enjeu macroéconomique majeur, au même titre que l’accès à l’énergie ou la sécurité alimentaire.

Le Bénin, en encourageant des solutions locales comme Cyberspector, prend une longueur d’avance stratégique. L’avenir dira si cette dynamique se transforme en modèle continental. Mais une chose est sûre : la cybersécurité africaine ne peut plus attendre.

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