Le cri d’alarme des BTP togolaises : un secteur en tension malgré son potentiel
Les géants étrangers : lion du marché togolais du BTP (Crédit image : RepublicOfTogo)
Les points clés :
Les entreprises togolaises du BTP alertent sur la domination des acteurs étrangers dans les grands chantiers publics.
L’accès aux financements, aux marchés publics et une fiscalité inadaptée mettent en péril les PME locales.
Le GNEBTP demande des réformes urgentes pour garantir l’équité, préserver l’emploi et renforcer l’économie togolaise.
Le 29 juillet 2025, à Lomé, les membres du Groupement National des Entrepreneurs du Bâtiment et Travaux Publics (GNEBTP) ont exprimé un profond malaise. Dans un contexte où le secteur du BTP représente des milliards de francs CFA, ils dénoncent une concurrence déloyale et une marginalisation presque systématique des entreprises locales dans les grands projets publics.
Lors d’une audience en janvier 2025 avec le ministre des Travaux publics, Sani Yaya, dirigée par le président du GNEBTP, Yawo Agbessi Tsogbé, les entrepreneurs nationaux ont exposé les principaux défis auxquels ils sont confrontés : attribution préférentielle des marchés aux entreprises étrangères, non-application de la mercuriale des prix officiels, dossiers d’appel d’offres inaccessibles sans trésorerie, absence de classification ou équité dans les évaluations, et difficultés à obtenir cautions et avances bancaires auprès de l’OTR ou ARCOP.
Les géants étrangers : lion du marché togolais du BTP
Selon FocusInfos, des travaux stratégiques comme le contournement de Lomé (34 milliards FCFA) ou la route Lomé‑Kpalimé (214 milliards FCFA) ont été confiés à des entreprises étrangères, principalement chinoises ou burkinabè, tandis que les entreprises nationales se contentent de petits chantiers secondaires. Un entrepreneur local estime que « l’État rechigne à confier les grands travaux aux Togolais », malgré la capacité technique des PME locales à les réaliser, et plaide pour un soutien institutionnel équivalent à celui accordé aux multinationales.
Fiscalité, prêts bancaires et classification : des freins structurels
La fiscalité jugée trop rigide et inadaptée à la réalité économique des PME est perçue comme un facteur de dissuasion. L'absence de classification officielle validée par l’État empêche l’accès aux marchés et nuit à la reconnaissance des capacités des entreprises locales. Le GNEBTP souligne également les retards dans la mise en œuvre des appels d’offre dans OSMAPT et les taux d’attribution limités (17,1 % des marchés publics approuvés au T1 2024).
Questions de qualité et de délais : une autocritique nécessaire
Le GNEBTP ne se dédouane pas des critiques sur la qualité et les délais d’exécution. Lors de rencontres en 2023, les membres ont reconnu que les prix cassés entraînent parfois l’abandon de chantiers, justifiant la nécessité de fixer des prix justes pour garantir livraisons dans les délais et respect des standards. Des séminaires récents ont également été placés sous le signe de l’éthique entrepreneuriale et du respect des engagements contractuels.
Vers des solutions durables : accompagnement, formation et partenariats
Le patronat togolais a commencé à organiser des « Petits‑déjeuners » en collaboration avec l’ARCOP pour informer les TPME sur la réglementation des marchés publics. Une disposition prévoit la réservation de 25 % des marchés publics aux jeunes et femmes entrepreneurs, encore peu appliquée faute d’accompagnement.
Un partenariat signé en décembre 2023 entre la Bank of Africa (BOA) et l’équipementier Neemba vise à faciliter l’accès au financement des PME du BTP pour l’achat de matériels. Parallèlement, des initiatives numériques comme Edole Africa offrent des plateformes pour connecter les demandes de main-d’œuvre et matériel, apportant une dose d’innovation dans un secteur traditionnel .
Pourquoi est-ce important ?
L’économie ouest‑africaine ne peut ignorer le sort du BTP togolais. Ce secteur alimente largement l’emploi direct et indirect, les recettes publiques et le tissu industriel local. Lorsque les marchés publics privilégient des entreprises étrangères, c’est un cercle vertueux de croissance, de revenus et de compétences qui s’interrompt.
Les risques sont multiples : fragilisation des PME locales, perte d’emplois, fuite des devises, affaiblissement du tissu national face à des acteurs mieux financés, et dépendance accrue aux grandes firmes régionales ou internationales.
Pour l’intégration ouest‑africaine, le renforcement des entreprises nationales est crucial. Les initiatives du Burkina Faso ou du Mali pour renforcer leurs TPME et promouvoir l'entrepreneuriat local montrent une voie possible. Au Togo, la combinaison d’un cadre réglementaire plus juste, de facilités de financement, de formation technique et d’outils numériques comme Edole Africa peut permettre aux acteurs locaux de répondre aux standards régionaux, créer de la valeur ajoutée à domicile, et contribuer à une croissance plus inclusive.
Sans réformes profondes, classification des entreprises, transparence dans les marchés, fiscalité adaptée, quotas effectifs sur les PME locales, appui financier structurant, le secteur togolais du BTP pourrait sombrer dans une dépendance structurelle aux autres acteurs, au risque de perdre son espace d’innovation et d’industrialisation dans la région.