Frontières invisibles, défis bien réels : 28 armées africaines à la manœuvre cyber-sécuritaire à Cotonou


Les points clés :

  • L’Afrique accélère sa préparation militaire pour la cybersécurité collective.

  • African Endeavor 2025 renforce la coopération continentale sous l’égide d’AFRICOM.

  • Une montée en puissance et un dilemme de souveraineté technologique.


À Cotonou, du 7 au 11 juillet 2025, le symposium African Endeavor 2025 transforme le cyberespace en nouveau théâtre stratégique pour les armées africaines. Vingt‐huit nations ont convergé dans la capitale béninoise, unies sous la coordination des Forces armées béninoises et du U.S. Africa Command (AFRICOM), pour examiner comment bâtir une défense collective face aux menaces numériques croissantes.

Cette rencontre illustre une transition majeure : la guerre n’est plus seulement physique, elle se joue dans les fibres optiques, les serveurs, et les flux de données. Comme l’a souligné Fortunet Nouatin, ministre délégué à la Défense du Bénin, « là où la menace était visible, elle est désormais invisible, décentralisée et globale ». Il s’agissait non seulement d’intégrer la cybersécurité dans les doctrines militaires, mais aussi de sécuriser les infrastructures critiques, d’assurer l’interopérabilité des systèmes de commandement et de renforcer la résilience face aux attaques digitales.

Depuis ses débuts en 2006, African Endeavor a formé plus de 2 000 officiers et techniciens africains. En 2024, à Livingstone (Zambie), le symposium avait déjà mis l’accent sur l’élaboration de stratégies institutionnelles et de politiques cyber efficaces . L’édition de 2025 a poussé plus loin, avec l’adoption du leitmotiv “Securing the Digital Frontier: Collaborative Approaches and Proactive Strategies”, soulignant la dimension proactive, non seulement défensive.

Des démonstrations technologiques ponctuaient l’événement : matériel de chiffrement, plateformes de veille, simulateurs d’attaque. Mais un constat dominait : l’essentiel venait des États-Unis et de leurs alliés, via AFRICOM, qui fournit à la fois l’ingénierie doctrinale, les infrastructures techniques et les systèmes de sécurisation. L’Afrique découvre ainsi que la frontière numérique est un terrain partagé, souvent sous dépendance externe.

En parallèle, le Cyber Africa Forum de Cotonou, qui s’est tenu fin juin, avait réaffirmé la nécessité pour les pays africains de renforcer leur résilience numérique. Benin, en particulier, a grimpé de la 149ᵉ à la 56ᵉ place dans l’indice mondial de cybersécurité et se classe 6ᵉ sur le continent. Ces deux événements se répondent : l’un militaire, l’autre civil, mais tous deux visent à affirmer une souveraineté digitale collective.

Entre coopération militaire et souveraineté technologique

La présence marquée d’AFRICOM renforce l’efficacité des échanges, mais pose un dilemme : la dépendance structurelle à l’égard des standards, logiciels et équipements américains limite l’émergence d’une autonomie africaine. L’expertise technique est fabriquée hors du continent, limitant l’espace pour l’innovation régionale et la définition d’une doctrine propre. Cela révèle un enjeu de fond : la nécessité d’une **interopérabilité réelle, mais pas à n’importe quel prix.

Dans le même temps, l’appel américain au renforcement des capacités nationales se fait plus pressant. En mai dernier, à l’occasion de l’exercice African Lion, Gen. Michael Langley d’AFRICOM a affirmé : « Nous devons amener nos partenaires au niveau d’opérations indépendantes ».

Mais la mise en place de cette autonomie reste conditionnée à des décennies de transfert technologique, de formation locale et de production industrielle. Si African Endeavor 2025 jette les bases, c’est une course d’endurance vers la maturité stratégique.

Les signaux d’une émergence africaine

Malgré la dépendance initiale, certains faits marquent un tournant : le symposium béninois prône une doctrine collective, fondée sur le partage d’intelligence, la coordination interforces et le développement d’une cyberculture militaire africaine. Le ministère béninois et les délégations souscrivent à cette vision, affirmant que la sécurité numérique ne se construit ni isolément ni de manière cloisonnée.

Parallèlement, la montée en puissance du Cyber Africa Forum, orienté vers l’innovation et les start‑ups locales, indique que la souveraineté numérique ne se limitera pas aux arsenaux, mais passera aussi par l’inclusion des talents civils africains.

Pourquoi est‑ce important ?

African Endeavor et le Cyber Africa Forum incarnent le tournant stratégique numérique de l’Afrique. Dans un contexte mondial où les cyberattaques sont devenues un outil de pression économique et politique, l’Afrique ne peut plus se contenter d’une posture défensive. Elle doit bâtir une cybersécurité souveraine, reposant sur ses propres ressources, doctrines et industries.

Un continent connecté, c’est un continent vulnérable. Les enjeux sont multiples : protection des infrastructures critiques, stabilité financière, souveraineté des données, résilience militaire et inclusion des acteurs civils. L’émergence d’une doctrine africaine commune pose les jalons d’une autosuffisance stratégique légère.

Mais la route est longue : le défi technologique, l’intégration institutionnelle et les investissements restent colossaux. Pour instaurer une gouvernance numérique authentiquement africaine, la mobilisation du secteur privé, des universités et des institutions régionales sera tout aussi cruciale que celle des armées.

African Endeavor 2025 aura marqué un point d’inflexion historique : les frontières africaines s’étendent désormais au cyberespace, et la question n’est plus s’il faut se protéger, mais comment le faire en tant qu’Afrique, ensemble, résilients et souverains.

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